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FLUDD ROBERT (1574-1637)

Une métaphysique de la lumière et des ténèbres

Fludd paraît profondément marqué par la condamnation paulinienne des philosophes qui tentent de découvrir la vérité par la seule raison plutôt que par la méditation de la parole divine. Aussi sa pensée s'appuie-t-elle avant tout sur la Bible. Cependant, elle puise aussi abondamment dans les écrits d'Hermès Trismégiste (que Fludd jugeait authentiques, et dans lesquels il incluait le Liber XXIV philosophorum), dans la littérature alchimique et paracelsiste, ainsi que dans celle des kabbalistes chrétiens. Fludd compose son système à partir de nombreux éléments qui, pris isolément, sont peu originaux ou empruntés, mais qu'il sut assembler en un édifice grandiose et, sous plus d'un aspect, hardi. C'est un panthéisme ou un non-dualisme absolu, encore que tout l'Univers soit le fruit de deux principes antagonistes. Dieu est en effet le principe, le moyen et la fin de tout ce qui existe. Mais cette monade incompréhensible, racine de toute chose, possède – et là réside la grande originalité de la métaphysique fluddienne – une double propriété, négative et positive : par sa « nolonté » (noluntas), Dieu, ne voulant pas s'extérioriser, se contracte sur lui-même ; par sa volonté (voluntas), en revanche, il se dilate et se manifeste dans sa splendeur. Se souvenant d'un passage du De Arte cabalistica de Reuchlin, Fludd nomme ces deux aspects éternels de Dieu l'« Aleph ténébreux » et l'« Aleph lumineux », dont les actes sont les ténèbres et le mal pour le premier, la lumière et le bien pour le second. Ainsi, c'est « la même Unité [qui] est le principe premier tant des ténèbres, du vice et du mal, que de la lumière, de la vertu et du bien ». À partir de ces deux principes, Fludd construit toute sa cosmogonie, la nolonté ou ténèbre divine constituant un principe d'indifférenciation et d'amorphie (privation), la volonté ou lumière divine un principe de détermination (forme). En indéterminant radicalement l'Être, qu'elle maintient en puissance, la nolonté engendre la materia prima incréée, ou premier règne des ténèbres. De celles-ci surgit la lumière divine qui, agissant sur elles, produisit les eaux mentionnées par la Genèse, lesquelles formèrent une seconde materia prima, celle de toutes les autres substances. Ces eaux primordiales se séparèrent alors, en proportion de la lumière qu'elles contenaient et selon le schéma médiéval classique, en une partie éthérée formant les cieux et une partie terrestre, repoussée au centre du monde, qui se subdivisa à son tour en sphères du feu, de l'air, de l'eau et de la terre. Le Soleil naquit par l'élévation, hors de la masse terrestre où elle s'était trouvée emprisonnée, d'une partie de la lumière céleste. Si la Terre est au centre de l'Univers, le Soleil, dont Fludd fait le siège de l'Esprit saint, occupe lui aussi une situation centrale, à mi-chemin entre la Terre et l'empyrée, les distances entre les diverses sphères du macrocosme étant régies par des rapports musicaux qui se retrouvent chez l'homme. La lumière du Soleil et les ténèbres qui lui succèdent symbolisent physiquement les deux aspects de ce Dieu unique qui, selon les Anciens, s'appelle Apollon le jour, engendrant ce que la nuit, sous le nom de Dionysos, il lacère et déchire en sept parties.

— Sylvain MATTON

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Écrit par

  • : docteur en philosophie, attaché de recherche au C.N.R.S.

Classification

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