MERTON ROBERT KING (1910-2003)
Couvert d'honneurs scientifiques et universitaires, membre de la National Academy of Sciences depuis 1968, Robert King Merton fut le premier sociologue à recevoir la plus haute distinction scientifique américaine, la National Medal of Science (1994). Son œuvre a été largement diffusée, traduite et enseignée. Elle comprend environ 180 articles scientifiques et une trentaine d'ouvrages, dont le plus important, Social Theory and Social Structure (1949), a été réédité une trentaine de fois et traduit en plus de dix langues.
Merton est né le 4 juillet 1910 à Philadelphie, de parents juifs immigrés de l'Europe de l'Est, sous le nom de Meyer Robert Schkolnick. L'histoire veut que son nom, – Robert King Merton –, soit celui qu'adolescent il utilisait lors de spectacles de magie. Après des études à Temple University, il rejoint, en 1932, l'université Harvard où il reçoit les enseignements de George Sarton en histoire des sciences, de Talcott Parsons et Pitirim Sorokin en sociologie. Il découvre au même moment, comme en témoignent les divers articles qu'il publie alors, la sociologie durkheimienne et joue un rôle non négligeable dans la diffusion de celle-ci aux États-Unis. Enseignant à l'université Columbia (New York) à partir de 1941 et jusqu'à la fin de sa carrière, il contribue, avec Paul Lazarsfeld, à faire de celle-ci un des hauts lieux de la recherche américaine en sociologie, et de cette dernière une discipline appliquée.
En 1936, il soutient à Harvard un Ph.D sous la direction de Pitirim Sorokin. Il y analyse les origines sociales et culturelles de la science moderne dans l'Angleterre du xviie siècle, époque que les historiens des sciences désignent comme celle de la « révolution scientifique ». Écartant les raisons économiques ou politiques, Merton situe les raisons de l'essor des recherches scientifiques et des institutions savantes dans le contexte religieux et culturel d'une période de l'histoire fortement marquée par le protestantisme et le puritanisme.
Ce travail présente des traits qui caractérisent la totalité de son œuvre : un souci aigu de validation empirique par la collecte de données précises et de rigoureuses analyses statistiques ; un schème théorique, qualifié de structuro-fonctionnalisme, plus modéré que le fonctionnalisme de Parsons ; la volonté de proposer des modèles explicatifs dits de « moyenne portée », – c'est-à-dire limitée à une problématique –, en complète rupture avec les théories globales du système social ; l'ambition enfin de faire de la science et de la technique des objets d'analyse sociologique. Ce dernier dessein, effectivement réalisé, fera de lui le premier sociologue des sciences et des techniques. Le rôle de Merton a été décisif pour le développement, la reconnaissance et l'institutionnalisation des sciences studies, des études S.T.S. (sciences, techniques et société). En 1975, il fonde la 4S (Society for Social Studies of Science) et en devient le premier président. Ce domaine de recherche a connu un fort développement et les innovations théoriques ont parfois conduit à la remise en cause des analyses mertoniennes. Mais, à l'instar de la notion de paradigme introduite par Kuhn, les notions proposées par Merton font aujourd'hui partie des schèmes classiques pour penser le fonctionnement de l'espace social spécifique que constitue la communauté scientifique : cet espace est régulé par des normes – scepticisme systématique, universalisme, désintéressement, communalisme –, qui constituent l'« éthos scientifique » auxquels les chercheurs adhèrent.
Au-delà de la sociologie des sciences, Merton a proposé des études innovantes sur une grande variété de sujets : l'anomie, la bureaucratie, la déviance, la communication de masse, les professions, les intellectuels...[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Olivier MARTIN : maître de conférences en sociologie et chercheur au Centre de recherche sur les liens sociaux, C.N.R.S. et université de Paris-V-René-Descartes
Classification
Autres références
-
ADAPTATION - Adaptation sociale
- Écrit par Raymond BOUDON
- 2 256 mots
- 1 média
Une troisième théorie, associée aux noms de Hyman, de Newcomb et de Merton notamment, montre que les opinions et attitudes dépendent des différents groupes qui constituent le champ social d'un individu. Les uns sont des groupes d'« appartenance » (groupes auxquels le sujet appartient réellement).... -
ANOMIE
- Écrit par Raymond BOUDON
- 4 002 mots
- 1 média
En revanche, nous ne croyons pas que certaines tentatives contemporaines de cla-rification de la théorie de l'anomie contribuent sensiblement à son progrès. Nous pensons particulièrement à l'analyse de Robert K. Merton. Selon Merton, l'anomie résulte du fait qu'une société peut proposer à ses membres... -
BUREAUCRATIE
- Écrit par Michel CROZIER
- 4 267 mots
...des années trente, faisait écho, dans un cadre plus large, à la discussion révolutionnaire antérieure sur les risques bureaucratiques. C'est Robert K. Merton qui a ouvert la voie dans un article célèbre publié en 1936 sur les conséquences inattendues d'une action dirigée vers un but. Dans cet article,... -
CAUSALITÉ
- Écrit par Raymond BOUDON , Marie GAUTIER et Bertrand SAINT-SERNIN
- 12 987 mots
- 3 médias
En fait, c'est seulement sous sa forme radicale que le fonctionnalisme permet de fournir une explication des phénomènes sociaux et constitue une méthode concurrente de l'explication par les causes. Or, comme l'a montré Merton dans un texte classique, le fonctionnalisme radical est inacceptable. - Afficher les 16 références