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KRAMER ROBERT (1940-1999)

Né à New York en 1940, Robert Kramer, est resté fidèle, tout au long d'une carrière internationale partagée entre les États-Unis et l'Europe, au titre de l'un de ses premiers films : The Edge (En marge, 1968). Entre l'Amérique et l'Europe, entre fiction et documentaire, loin du cinéma commercial, mais méfiant à l'égard du cinéma militant, solitaire mais attentif à l'œuvre d'autres solitaires, ce marginal irréductible laisse une œuvre qui témoigne du parcours de toute une génération, de 1968 à la fin du siècle.

Le film qui le fera connaître, au moins en Europe, Ice (1970), a dû en grande partie son succès à son actualité : contexte révolutionnaire, utilisation du direct, deux caractéristiques bien dans l'air du temps. À New York, un groupe révolutionnaire entend détruire la société capitaliste américaine. Ce thème, qui apparaît simpliste avec le recul, est traité avec une grande sensibilité et une parfaite maîtrise des techniques de tournage léger, elles-mêmes révolutionnaires à cette époque où le cinéma s'est tout récemment libéré des studios. Ce film éminemment politique n'est pas une incitation à la révolution, mais une réflexion lucide sur la confusion d'alors entre politique et cinéma. Déjà, il permet de définir son auteur comme un moraliste en politique. Le style, surtout à travers l'utilisation d'acteurs non professionnels, dont Kramer lui-même, laisse présager un goût prononcé pour un cinéma en liberté.

Cette tendance devait se prolonger dans une certaine conception du documentaire qu'illustrent, à vingt-trois ans d'intervalle, autour du Vietnam, People's War (La Guerre du peuple, 1975) et Point de départ (1993). Le premier est un film contemporain de la fin d'une guerre qui se terminait par le triomphe d'une cause vigoureusement défendue par la gauche américaine. Le second revient sur cette même période, et s'ouvre avec le visage filmé, de façon morcelée, de Linda Evans, militante de toutes les causes d'antan, emprisonnée depuis 1985 et condamnée à le rester jusqu'en 2025, symbole de la fin d'un combat qui ne laisse plus qu'un goût d'amertume, malgré la fierté affichée de la génération qui a fait la guerre, alors que la génération suivante a oublié. Constat d'échec, le film est d'abord une déambulation mélancolique parmi des visages (filmés longuement, fixement) et les objets (caméras, vestiges). Comme le visage de Linda Evans, le Vietnam est un assemblage de morceaux épars dont on ne sait quelle forme ils adopteront en se reconstituant.

Un autre personnage, vrai ou faux vétéran de cette même guerre qui a tellement marqué l'Amérique, connu sous le nom de Doc (interprété par le journaliste Paul McIsaac), apparaît dans deux films intermédiaires, Doc's Kingdom (1987), où l'on retrouve le Portugal déjà filmé dix ans auparavant (Struggle in Portugal), et surtout Route One/USA (1989), qui marque le retour au pays après dix ans d'exil européen. Le long de la plus ancienne route des États-Unis, qui conduit de la frontière canadienne à la Floride, Kramer et son comparse constatent les changements intervenus depuis les années 1970. Désormais, les replis individuels ou ethniques structurent la société américaine. Le débat sur la citoyenneté a remplacé les utopies révolutionnaires. Dernier film de Kramer, Walk the Walk (1993) illustre, à travers l'éclatement d'une famille, le thème de l'errance qui s'est imposé peu à peu dans son œuvre, concurremment avec celui de la mémoire, l'une et l'autre marquées par le désenchantement.

— Guy GAUTHIER

Autres films

Faln, c.m. (1968) ; In the Country, c.m. (1970) ; Milestones (en coopération avec John Douglas, 1975) ; Scenes from the Class (1977) ; Guns (1980) ; Full Speed[...]

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Écrit par

  • : écrivain et critique de cinéma, ancien chargé de cours à l'université de Paris-VII-Denis-Diderot, docteur de troisième cycle, université de Paris-VII-Denis-Diderot

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Autres références

  • DMYTRYK EDWARD (1909-1999)

    • Écrit par
    • 690 mots

    Né de parents ukrainiens immigrés, le 4 septembre 1908 à Grand Forks, au Canada, Edward Dmytryk quitte le domicile familial à l'âge de quatorze ans. Tout en faisant ses études secondaires à la Hollywood High School, il entre, en 1923, comme coursier et homme à tout faire à Famous Players-Lasky,...