LAFFONT ROBERT (1916-2010)
Robert Laffont est mort le 19 mai 2010, à l'âge de quatre-vingt-treize ans. S'il incarnait l'éditeur au sens noble du terme, profondément humain et curieux, il sut également symboliser l'évolution du secteur au cours de la seconde moitié du xxe siècle, introduisant le marketing dans les pratiques commerciales et aimant faire des « coups d'édition ».
Robert Laffont est né le 30 novembre 1916 d'un père officier de marine et d'une mère issue de la haute société oranaise, morte des suites de la grippe espagnole en 1918. Titulaire d'une licence en droit et diplômé d'H.E.C., alors secrétaire général d'une société de sauvetage en mer à Marseille, il décide de changer de métier à vingt-quatre ans et fonde sa maison d'édition en 1941. Son premier livre, Œdipe roi de Sophocle, texte adapté par Gabriel Boissy et monté à Orange cette année-là, est siglé d'un dauphin « portant sur son dos le poète Adonis sauvé par ses soins ». Il s'installe rue de l'Université à Paris en 1944, rencontre Evelyn Waugh et Graham Greene à Londres, qu'il publie en 1946 dans la toute nouvelle collection de littérature étrangère Pavillons, au côté d'Henry James. Il met aussi en place un comité de lecture prestigieux composé de Kléber Haedens, Louis-René des Forêts, Michel Mohrt, Alain Clément, Morvan Lebesque et Georges Belmont, et crée le prix Stendhal pour contrer les grands prix littéraires.
En 1948, la maison d'édition connaissant des difficultés financières, il s'associe avec René Julliard, qui lui impose son propre comité de lecture et sa structure de diffusion, Sequana. En 1963, la maison s'installe place Saint-Sulpice : sous les toits, le bureau de Robert Laffont, où se réunit une fois par semaine le comité de lecture, entre dans la légende.
Le catalogue constitué au fil des années frappe par sa diversité : La Puissance et la gloire, de Graham Greene (1948), Le Désert des Tartares, de Dino Buzzati (1949), L'Attrape-cœur, de J. D. Salinger (1953) ; mais aussi Le Jour le plus long, de Cornelius Ryan (1960, 651 000 ventes la première année), Paris brûle-t-il ?, de Dominique Lapierre et Larry Collins (1964) et Papillon, d'Henri Charrière (vendu à plus d'un million d'exemplaires l'année de sa sortie en 1969). Robert Laffont avait cette curiosité intellectuelle qui lui permettait de toucher à tout, des textes les plus littéraires aux ouvrages destinés au grand public. Présenté comme « le plus américain des éditeurs français », il accorde des à-valoir à ses auteurs, pratique jusque-là peu répandue en France, manie tests et études de marché, achète les droits des best-sellers américains, emmène les libraires en Inde pour la sortie de Cette Nuit la liberté, de Lapierre et Collins (1975). En cinquante ans, il publie dix mille titres, dont les livres de Gilbert Cesbron, John Le Carré, Robert Ludlum, Mikhaïl Boulgakov, Alexandre Soljénitsyne, Bruno Bettelheim, Max Gallo. Autour de Claude Michelet, dont Des grives aux loups, prix des libraires 1979, se vend à 836 000 exemplaires, se constitue « l'école de Brive », sous la houlette du directeur littéraire Jacques Peuchmaurd. Elle sera composée de Michel Peyramaure, Christian Signol, Jean-Guy Soumy.
Outre Pavillons, qui voit donc le jour en 1946, les collections Best-sellers (1956), Réponses (1967), Ailleurs et demain (science-fiction, 1969) demeurent vivantes aujourd'hui. Comme Bouquins, imaginée en 1979 avec son ami de toujours Guy Schoeller, particulièrement innovante : une colle révolutionnaire et un procédé de brochage unique déniché en Angleterre permettent à un livre de plus de 1 200 pages de rester ouvert sans se casser. La collection commence avec une réédition actualisée du Dictionnaire des œuvres Laffont-Bompiani. Une « Pléiade populaire » est[...]
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Écrit par
- Claude COMBET : journaliste
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