LEBEL ROBERT (1904-1986)
« Notre ami Robert Lebel a des yeux si clairs que le regard qu'il promène par les avenues de l'art est comme la lanterne de Diogène », écrivait André Breton en 1955 dans sa Préface à Chantage de la beauté, ce « petit colloque initial » entre Lichtenberg et Laclos « cheminant à petites étapes par le trottoir droit de la rue Royale, en direction de la Concorde ». Breton, Laclos, Lichtenberg sont des références qui permettent de situer le message sibyllin du critique d'art Robert Lebel, né en 1904. On pourrait leur adjoindre non seulement Alphonse Allais et Lewis Carroll, mais Huysmans et même Kafka. Sans oublier, bien entendu, Marcel Duchamp. Car, outre qu'elle demeure plus que jamais une des sources fondamentales sur un des artistes majeurs de notre siècle, l'étude consacrée par Robert Lebel à Duchamp occupe une position centrale dans l'œuvre comme, plus généralement, dans la réflexion du premier. Il semble en effet que tous les autres écrits de Robert Lebel se réfèrent d'une manière ou d'une autre à l'inventeur du « grand verre ».
Publié en 1959 sous le titre Sur Marcel Duchamp, l'ouvrage venait tout juste d'être réédité à la fin de 1985. De substantielles additions au texte original montraient non seulement, dans la nouvelle version publiée chez Belfond avec le laconique intitulé Duchamp – et sans l'ombre d'une illustration –, que l'auteur s'était soucié des découvertes non négligeables intervenues entre-temps, principalement la révélation, en 1969, du fameux « environnement » Étant donnés 1o La Chute d'eau ; 2o Le Gaz d'éclairage, mais qu'il avait pris la peine de s'informer de la profusion d'articles et d'ouvrages que suscita la rétrospective Duchamp au Centre Georges-Pompidou à Paris en 1977. Mais le meilleur de l'ouvrage n'est pas là : il est dans la pénétrante sympathie de l'auteur pour l'objet de son étude – sympathie étayée par la longue amitié qui lia les deux hommes.
Déjà en 1952, dans Léonard de Vinci, ou la Fin de l'humilité, la figure du grand peintre italien recevait du personnage de Duchamp un éclairage décisif. Deux citations suffiront à en rendre compte : « Le comportement de Léonard tranche sur celui de tous les artistes qui l'entourent ou qui l'ont précédé. On peut dire qu'il est le premier et qu'il restera longtemps le seul à requérir, par l'exemple même de sa conduite, l'abolition d'un statut qu'il estime dégradant » ; ou encore ceci : « Pour Léonard, la décision capitale consiste à récuser une fois pour toutes le secours de l'inspiration. » On en découvrirait d'autres exemples dans Chantage de la beauté (1955), Géricault, ses ambitions monumentales et l'inspiration italienne (1961), l'Anthologie des formes inventées (1962) et L'Envers de la peinture : mœurs et coutumes des tableauistes (1964).
Quant à l'œuvre de narrateur de Rober Lebel, elle se résume à trois titres : La Double Vue (1964), L'Oiseau caramel (1969) et La Saint-Charlemagne (1976). La Double Vue est une longue et étrange nouvelle qui nous conte comment un peintre, désireux de rompre avec l'univers artificiel du marché de l'art, fait retraite dans une maison isolée du Sentier jusqu'au jour où il découvre qu'en face de chez lui une fabrique de pianos à peu près totalement désaffectée est le théâtre d'une agitation nocturne aussi régulière qu'aberrante qui finira par le gagner. L'Oiseau caramel réunit une quinzaine de contes d'une grande diversité de ton, à ceci près que l'inavouable et l'inéluctable en paraissent les ressorts les plus constants. L'inavouable culmine dans « La Pièce condamnée », sans doute le chef-d'œuvre du recueil. L'inéluctable triomphe à peu près partout[...]
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Écrit par
- José PIERRE : directeur de recherche au C.N.R.S., docteur ès lettres
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