MERLE ROBERT (1908-2004)
Romancier français. Robert Merle naît en Algérie dans une famille de colons le 29 août 1908 à Tebessa, près de la frontière tunisienne. Son père, officier interprète, meurt des suites d'une typhoïde en 1916, et la famille doit se rapatrier. Les grands lycées parisiens conduisent le jeune homme à se tourner vers la philosophie et l'agrégation d'anglais. Il exerce son professorat à Bordeaux, puis à Paris. Raymond Queneau lui commande alors des traductions pour Gallimard. Mobilisé en 1939, il est interprète dans l'armée anglaise. Fait prisonnier, il part en captivité en Allemagne. Quand il en revient, il s'installe à Sarlat, remanie sa thèse sur Oscar Wilde et écrit pour le théâtre (Flamineo, adapté de John Webster, en 1950). Il achèvera sa carrière comme universitaire.
L'essentiel est ailleurs. En 1949, Robert Merle a publié un premier roman, Week-end à Zuydcoote, qui lui vaut le prix Goncourt. C'est un succès immédiat. L'analyse psychologique d'une bande de copains égarés sur les plages du Nord durant deux journées du mois de juin 1940, lorsque l'aviation allemande bombarde les troupes qui cherchent à embarquer vers l'Angleterre (Henri Verneuil adaptera le roman pour le cinéma en 1964), sera la matrice d'une série de livres tous construits autour de destins singuliers, aux prises avec l'histoire et les questions fondamentales posées à l'homme moderne. À la manière des fables, ces romans débouchent sur un humanisme inquiet de se savoir menacé par les démons lovés au cœur de l'humanité. Dans La mort est mon métier (1952), la narration est prise en charge par Rudolf, un nazi qui a commandé le camp d'Auschwitz, reçu d'Himmler l'ordre d'exterminer les juifs et s'est acquitté avec conscience de sa tâche sans manifester le moindre remords au moment où on le condamne à mort en 1947. Le gros roman L'Île (1962) sacrifie les faits historiques de la mutinerie du Bounty aux délices de l'écriture romanesque. Dans Un animal doué de raison (1967), Robert Merle veut mêler le roman animal (les dauphins sont les protagonistes du livre), la politique-fiction et l'étude comportementale. La réflexion se prolonge avec Les Hommes protégés (1974), ou mieux encore Malevil en 1972, qui brosse le tableau très noir d'une civilisation qui, après une guerre atomique, parvient pourtant à préserver l'humain. Le jour ne se lève pas pour nous (1986) raconte en un huis clos tendu la vie quotidienne des sous-mariniers dans un lanceur d'engins nucléaires. Cette matrice narrative, alliée au souci moraliste qu'on retrouvera dans d'autres titres (L'Idole, en 1987, par exemple), s'inscrit dans un engagement plus général où se mêlent la foi humaniste, le romantisme d'une révolution généreuse et un idéal enthousiaste de liberté. Ainsi voit-on Robert Merle aux côtés du Parti communiste, d'Ahmed Ben Bella, de Fidel Castro et du « Che » (dont il traduit avec son épouse Souvenirs de la guerre révolutionnaire en 1967), ou du mouvement étudiant de 1968, dont il aime la créativité verbale et le désir de liberté sexuelle, tout en stigmatisant son confusionnisme et ses niaiseries (Derrière la vitre, 1970 ; Sylvie Gravagna en donnera une adaptation théâtrale en 1992 sous le titre Nanterre-la-folie).
Cet écrivain décidément éclectique développe en même temps un aspect tout différent de sa personnalité : il met son talent de chroniqueur au service du roman historique, dans la veine picaresque dont il use avec bonheur. Il poursuit de la sorte le triple dessein littéraire de la vraisemblance historique, d'une langue d'époque reconstituée et de la passion romanesque, et sait recréer la bigarrure, la crudité et l'énergie d'une France d'il y a quatre ou cinq siècles. Treize volumes de cette épopée d'un genre nouveau se suivent[...]
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Écrit par
- Michel P. SCHMITT : professeur émérite de littérature française
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