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MISRAHI ROBERT (1926-2023)

Né à Paris le 3 janvier 1926, le philosophe français Robert Misrahi grandit dans une famille juive venue de Turquie. Malgré la misère qu’il décrit dans La Nacre et le Rocher(2012), son autobiographie, il travaille sérieusement à l’école primaire qu’il préfère à toute éducation religieuse, au point de refuser d’accomplir sa bar-mitsva. Plus tard, sous l’occupation allemande, sa décision de ne pas porter l’étoile jaune imposée à tous les juifs sera pour lui un premier acte libre fondateur. En classe de philosophie, il découvre avec enthousiasme LÉthique de Spinoza dont il deviendra un traducteur et un commentateur important. Reçu à l’agrégation de philosophie en 1950, il enseigne en province puis devient maître assistant à la Sorbonne en 1965. Il succède à Vladimir Jankélévitch à la chaire de morale et politique qu’il occupera jusqu’en 1994.

Selon Robert Misrahi, la philosophie est intimement liée à l’existence et comporte donc toujours une dimension éthique, qu’elle soit implicite ou explicite, qu’elle en constitue le fondement ou un enjeu essentiel. Il est en cela fidèle à Spinoza dont l’œuvre principale, LÉthique, commence par une métaphysique et aboutit à une philosophie de la joie et du salut. Encore étudiant, il découvre dans lÊtre et le Néant de Jean-Paul Sartre une conception de la liberté ontologique et de l’autonomie du sujet libre qui manquait chez Spinoza. Il écrit alors à Sartre qui le soutiendra et l’encouragera dans ses travaux, en le publiant notamment dans la revue Les Tempsmodernes.

En construisant une philosophie originale, Misrahi s’éloigne de ses deux prédécesseurs. Il rejette le déterminisme spinoziste ainsi que la conception sartrienne d’une liberté essentiellement tragique.

Pour l’individu comme pour une société, le point de départ est toujours la crise que provoque la prise de conscience de la souffrance et du malheur. Cet intolérable suppose déjà l’affirmation d’un préférable tout autre, la joie et le bonheur. C’est donc toujours la prise de conscience qui annonce la possibilité d’un nouveau commencement, d’une nouvelle lumière dans les ténèbres, y compris pour la psychanalyse. C’est pourquoi, hors de tout fondement métaphysique ou théologique, seule une anthropologie phénoménologique peut rendre compte du primat du désir, d’abord obscur, mais qui peut se transformer radicalement grâce à la réflexion qu’il mobilise déjà. Loin d’être éclatée en plusieurs facultés distinctes antagonistes, la conscience unifiée du sujet libre dépasse le découpage artificiel de l’esprit opposant la raison et l’affectivité.

Robert Misrahi reprend le projet promis mais abandonné par Sartre et développe toutes les conséquences de l’idée de « conversion radicale » évoquée dans LÊtre et le Néant ou dans le texte posthume Cahiers pour une morale. Dans Lumière, commencement, liberté (1969), il décrit les trois formes que prend la conversion comme renversement radical. La conversion gnoséologique comme commencement confirme le cogito cartésien comme première certitude. Misrahi précise l’importance de la phénoménologie husserlienne, qui instaure le sujet libre comme conscience, dans La Jouissance dêtre (1996). La conversion existentielle est la décision du sujet libre d’instaurer un nouveau commencement dans son existence en réalisant ce qui a été compris dans la première conversion. La conversion à autrui intervient enfin comme réalisation du désir de partager la liberté et le bonheur.

Ce chemin de la libération permettant la construction d’un bonheur authentique se manifeste également au niveau collectif et donc politique. Dans le tome 2 de son Traité du bonheur Éthique, politique et bonheur (1983) – Misrahi rejette l’opposition avancée par Max Weber entre morale et politique. Il soutient que toute politique repose sur[...]

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