SCHUMANN ROBERT (1810-1856)
Présence de Schumann
Les jugements sur Schumann ont été, le plus souvent, formulés par des biographes qui n'étaient pas des analystes. On n'a donc pas assez souligné la concentration de son langage, sa densité naturelle. La musique de Schumann naît « tout armée », dans une complexité spontanée sous l'angle harmonique, polyphonique, rythmique et dynamique. Cette musique est de loin la plus riche de son époque en événements divers dans l'instant musical. Les commentaires célèbres d'Alban Berg sur la Träumerei (Rêverie) donnent une idée de ce que l'analyse découvrirait dans les Kreisleriana, les Danses du Davidsbund (Davidsbündlertänze, opus 6) ou le premier Trio. Si cet aspect est longtemps resté caché, il serait aisé, en revanche, de montrer l'impact de cette originalité simultanée des divers éléments du langage schumannien sur les compositeurs français postérieurs, sur Fauré évidemment, mais même sur Debussy.
Au piano, Schumann rivalise sans peine avec Chopin sur le plan de l'originalité des idées et de la beauté des dispositions sonores. Dans le lied, il se distingue le plus souvent de la simplicité schubertienne en ce sens qu'il fait du lied un poème verbo-musical subtil où la voix n'est qu'une ligne de faîte hautement significative, tandis que le piano crée un environnement d'une densité psychique que seuls retrouveront Moussorgski et le Debussy de Pelléas.
S'il ne paraît pas toujours à l'aise dans le discours symphonique, c'est alors qu'il s'agit là, par rapport à sa concentration naturelle, d'une simplification grossissante, d'un regain en durée de ce qu'on perd en profondeur. C'est le sentiment du temps qui est en jeu. Les natures intenses et rapides s'accommodent mal des ressassements dialectiques, et Schumann a cherché et trouvé des solutions neuves en ce domaine : multiplicité des thèmes, idées cycliques et « thèmes conducteurs » avant la lettre. Sous cet aspect, il a préparé sans le savoir la réaction française d'hostilité au « développement » de type germanique, réaction qui culminera avec Debussy, mais qui avait déjà affecté le groupe russe des Cinq, en particulier Moussorgski, d'ailleurs fervent adepte de Schumann.
De réels défauts n'apparaissent qu'ici ou là dans des œuvres des toutes dernières années : banalités mélodiques sous prétexte de « style populaire » et brusque manque d'inspiration qui choque d'autant plus que Schumann nous avait habitués aux perpétuelles trouvailles. Rares, ces points faibles sont la rançon de la maladie. En revanche, le retour au répertoire de la musique chorale (Doubles Chœurs, opus 141 par exemple), et des grandes pages dramatiques ou lyriques (Le Paradis et la Peri, les Scènes de Faust) est riche d'enseignement. Après la résurrection des derniers recueils pour piano (Chants de l'aube), la création en France de l'opéra Genoveva, en 1985, a permis de vérifier à quel point son abandon fut, selon les mots d'Alfred Einstein, « l'une des plus affligeantes erreurs judiciaires de toute l'histoire musicale ».
En vertu même de sa culture et de sa totale sincérité, Schumann a assumé jusqu'au bout, jusqu'à la destruction de soi, l'insatisfaction romantique. C'est lui, l'inspiré, qui est allé le plus loin dans la tentative d'incarner en musique l'héroïsme spirituel de Faust et de Manfred, la pensée de Byron, de Hoffmann, de Heine, de Goethe.
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Écrit par
- Olivier ALAIN : inspecteur principal de la musique au ministère des Affaires culturelles
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