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SMITHSON ROBERT (1938-1973)

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L'artiste américain Robert Smithson est un des représentants majeurs du land art. Comme Carl Andre, Richard Serra ou Robert Morris, il a déterminé sa pratique artistique en réaction au discours purement formaliste qui visait à isoler l'art du réel. Par ses interventions éphémères situées dans des zones sauvages inhabitées ou d'anciens lieux industriels laissés en friche, l'artiste a cherché à réintégrer la pratique artistique dans un contexte naturel ou social, en s'appuyant notamment sur la notion d'« entropie », qui met en évidence l'usure de l'énergie et de la matière sous l'action du temps.

Art, science, nature

Robert Irving Smithson est né le 2 janvier 1938 à Passaic dans le New Jersey. En 1948, sa famille s'installe dans la ville voisine de Clifton. Là, encouragé par ses parents, le jeune Robert aménage un zoo-musée dans le sous-sol de sa maison pour y accueillir une « collection », composée entre autres de fossiles et de reptiles vivants. Une bourse de l'Art Students League de New York, obtenue en 1953, lui permet de se familiariser avec le milieu de l'art new-yorkais. Il poursuit ses études jusqu'en 1956, date à laquelle il est incorporé dans l'armée et accède, avant de se faire réformer la même année, au poste d'artiste attitré de Fort Knox. En 1957-1958, Smithson entreprend des voyages aux États-Unis et au Mexique, fréquente les écrivains de la beat generation et se voit proposer une première exposition personnelle dans l'appartement du poète Alan Brilliant. Bien qu'influencés par l'expressionnisme abstrait, ses travaux de jeunesse trahissent une perméabilité à des univers biomorphiques et mythologiques qui trouvent un écho dans ses Dessins fantasmagoriques de mondes cosmologiques se situant entre Blake et Bosch (1960). Smithson passe trois mois à Rome en 1961, où il expose à la galerie George Lester. Il profite également de ce séjour pour s'imprégner de nombreuses lectures qui traduisent la diversité de ses champs d'intérêt. En 1963, il s'installe définitivement à New York, épouse une amie d'enfance, l'artiste Nancy Holt (1938-2014), et renonce aux sujets mythologiques pour expérimenter des « structures provenant d'une réflexion sur les qualités inhérentes aux matériaux ».

En 1964, Robert Smithson conçoit ses premières sculptures-miroirs. Celles-ci s'inspirent de la structure des cristaux qui fascinent l'artiste depuis sa prime enfance. Le motif et les thèmes des cristaux seront récurrents dans la carrière de l'artiste qui les mettra en perspective dans des écrits, des lectures et des réalisations. Souvent accrochées au mur, ces premières sculptures symbolisent parfaitement les enjeux qui vont animer sa production à venir. Elles reflètent la multiplicité de facettes d'un corpus inassimilable qui déjoue les catégories et classifications. En travaillant à partir de miroirs, Smithson signifie que ses préoccupations, contrairement à celles de nombre de ses confrères, à commencer par Donald Judd avec lequel il se lie d'amitié en 1965, ne sauraient se résumer à une interrogation sur l'objet, au sens « réductionniste » du terme. Ses miroirs biaisés, qui répondent souvent à la dénomination de « chambres énantiomorphes », défient le regard – ils s'opposent en cela à la sacro-sainte opticalité moderniste –, désorientent un spectateur et témoignent, à l'image des cubes de son ami Robert Morris, d'une volonté d'« impureté » qu'il revendiquera dans ses premiers essais et récits.

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Les écrits de Smithson ne se résument que rarement à des exégèses de telle ou telle facette de sa pratique artistique. À la fois autonome et entretenant des rapports étroits avec son œuvre plasticienne, sa part proprement littéraire témoigne de l'inépuisable ouverture d'esprit et de la curiosité d'un artiste dont la bibliothèque comprend des ouvrages appartenant aux domaines les plus variés : anthropologie, archéologie, esthétique, histoire de l'art, économie, politique, linguistique, psychologie, religion, science, philosophie et fiction. C'est dans un texte de 1966 – « The Crystal Land » (Harper's Bazaar) – que Smithson dévoile sa passion pour la géologie, la minéralogie et la glaciologie. Récit « scientifique », « Le Pays du cristal » relate une excursion entreprise par l'artiste en compagnie de Donald Judd et de leurs épouses respectives dans des carrières du New Jersey. À la croisée de la beat generation et d'une littérature américaine aux accents vernaculaires et écologiques telle que pouvait la concevoir Henry David Thoreau, le récit de Smithson ne laisse transparaître qu'en filigrane la dimension esthétique qui rejaillit dans son œuvre plasticienne. On y décèle pourtant une volonté de s'attacher à l'expérimentation des matériaux, de mettre en rapport les éléments naturels et culturels et d'accentuer l'enchevêtrement de dimensions temporelles (temps de l'excursion, temporalités des matériaux) qui marquera durablement son œuvre à venir. Enfin, le motif de l'entropie, thème fondamental et récurrent de sa création, se dessine à travers l'évocation des « marécages » du New Jersey composés de dépôts d'ordures se consumant lentement.

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Écrit par

  • : maître de conférences en histoire de l'art contemporain à l'université de Valenciennes, critique d'art, commissaire d'expositions

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