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SMITHSON ROBERT (1938-1973)

Une esthétique de l'entropie

L'essai Entropy and the New Monuments (L'Entropie et les nouveaux monuments), publié dans la revue Artforum de juin 1966, est le fruit de diverses excursions entreprises cette fois-ci avec Carl Andre, Michael Heizer, Robert Morris et Claes Oldenburg dans des sites industriels désaffectés. L'essai de Smithson fait l'éloge des systèmes dont « l'énergie se perd plus facilement qu'elle ne se capte » et s'intéresse aux « nouveaux monuments » constitués de matériaux artificiels – plastique, chrome et lumière électrique – qui « ne sont pas construits en vue de la durée, mais plutôt contre ». S'appuyant sur une lecture souvent en décalage, pour ne pas dire en contradiction, avec la doxa théorique échafaudée par les artistes auxquels il se réfère, Smithson convoque des créateurs (Dan Flavin, Sol LeWitt, Don Judd) qui, selon lui, ont contribué à « neutraliser le mythe du progrès » et voient « le futur à reculons », corroborant ainsi le sentiment de l'écrivain cité par l'auteur, Wylie Sypher (1905-1987), pour qui « l'entropie, c'est l'évolution à l'envers ». Cette apologie de l'impureté, du défaillant, de l'obsolète et de l'anachronique se situe bien évidemment en porte-à-faux avec la conception téléologique de l'histoire de l'art défendue par les modernistes, par ailleurs réfractaires à toute implication temporelle dans l'expérience esthétique. Smithson, lui, ne cesse de s'attacher à une temporalité. « L'instantanéité fait que le travail de Flavin appartient davantage au temps qu'à l'espace. Le temps devient un lieu dépourvu de mouvement », écrit-il, afin de démontrer que les processus de transformation et de détérioration propres à l'entropie se concrétisent dans le temps.

Les différentes expériences tant littéraires que plasticiennes de 1966 marquent la véritable amorce de la trajectoire fulgurante de l'artiste. Smithson participe cette année-là à Primary Structures, exposition mythique du Jewish Museum de New York, conçoit des projets avortés pour le nouvel aéroport de Dallas, s'associe à la Dwan Gallery (New York) et prolonge son activité de sculpteur qui débouche sur la réalisation de premiers empilements de miroirs trompeusement minimalistes (Untitled [mirrors] et Mirrored Ziggurat) dont les stratifications ne sont pas sans évoquer les épaisseurs géologiques et temporelles de la matière.

L'obsession pour les « détritus civilisés » pousse Smithson à effectuer le 30 septembre 1967 un nouveau voyage à Passaic, sa ville natale, afin d'y dénicher ses « monuments ». La publication qui s'ensuit, The Monuments of Passaic (Artforum, déc. 1967), traduit à nouveau le caractère précaire de la proposition littéraire (et par extension photographique) de Smithson, le « reportage » renvoyant à la fois à l'excursion du 30 septembre 1967 tout en incarnant un objet semi-autonome qui se donne à voir et à lire dans les pages d'une revue d'art ne se contentant plus d'afficher des informations secondaires. L'ère est propice au brouillage des pistes et Smithson, à l'instar de nombreux artistes, tente, en adéquation avec l'aventure conceptuelle qui voit le jour au même moment, d'innerver des espaces discursifs alternatifs qui vont lui permettre d'échapper aux circuits confinés et codifiés des musées et galeries. L'apport original de Smithson consiste bien entendu à s'« approprier » des monuments dont il n'est pas l'auteur à proprement parler. L'évocation du dernier monument, un bac à sable, constitue à ce titre une occasion supplémentaire de renouer avec le principe d'entropie : « Le dernier monument était un bac à sable, ou une maquette de désert. Sous la lumière morte d'un après-midi à Passaic, le désert devint une carte de désintégration et d'oubli infinis.[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences en histoire de l'art contemporain à l'université de Valenciennes, critique d'art, commissaire d'expositions

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