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TRIFFIN ROBERT (1911-1993)

Le spécialiste de la monnaie sans doute le plus connu dans le monde au cours des années 1960 et 1970, l'homme qui fut un des universitaires américains les plus écoutés, aimé de ses étudiants, est né « dans un des plus beaux villages » belges, Flobecq. Si, jeune, Robert Triffin rêvait de faire des études d'économie pour entrer un jour à la Banque nationale de Belgique, c'était par pacifisme. Les fonctionnaires d'un institut d'émission sont amenés, pensait-il, à travailler en étroite liaison avec leurs collègues étrangers. Jusqu'à son dernier souffle, son internationalisme est resté profond et, pourquoi pas ? candide.

En juin 1939, il rejoint l'université Harvard, qui lui offre (il y avait déjà soutenu une brillante thèse) un poste d'assistant aux émoluments huit fois supérieurs à ce que lui avait proposé Louvain. Vers la fin de sa vie, comme on lui demande ce qu'il aurait fait en 1940 si, au lieu de vivre aux États-Unis, il était resté en Belgique, il réplique qu'à cette question qu'il s'est souvent posée il n'a pas de « réponse sûre ». Ce à quoi il répugne — la suite du dialogue le montre bien —, c'est de se donner sans risque le beau rôle : « Il m'eût été trop facile, dit-il de la collaboration avec l'occupant qu'acceptèrent d'abord certains de ses amis socialistes, de la condamner des États-Unis, alors que la plupart des ministres du gouvernement Pierlot [...] sollicitaient de l'Allemagne l'autorisation de rentrer en Belgique. » Plus encore que par ses analyses implacables sur les terribles dégâts en termes de chômage et de récession à attendre d'un système monétaire international (qualifié par lui, dans ses dernières années, de « scandale monétaire international ») répétant les erreurs déjà commises dans les années 1920, Triffin fut guidé par son idéalisme. Ce dont il est le plus fier, c'est d'avoir négocié, et partiellement inspiré, au début des années 1950, la création de l'Union européenne des paiements, première et décisive étape de la reconstruction monétaire, financière et économique de l'Europe. Cette négociation, il la conduit en tant que membre de la délégation américaine (il est alors fonctionnaire du Département d'État). Mais cela ne l'empêche pas de travailler parallèlement, en militant des États unis d'Europe, avec Jean Monnet. La place qu'il s'est faite très tôt dans l'université américaine lui a donné les moyens de cette indépendance, à laquelle il tient tant : s'il est amené, comme il l'a fait plusieurs fois, à démissionner d'un poste officiel, il peut compter sur l'enseignement pour nourrir sa famille. En 1940, il a épousé une Américaine, Loïs Brandt. Quand il reprendra, en 1978, la nationalité belge « pour pouvoir participer pleinement à la vie politique » de son pays d'origine, où il passera les quinze dernières années de sa vie, dirigeant un département économique à Louvain, Loïs changera aussi de passeport.

C'est ainsi que Triffin a mené sa carrière sur un double ou plutôt un triple registre : le professeur — surtout à Yale, de 1951 à 1978 ; le chargé de mission — successivement auprès du Federal Reserve System (qui l'envoie en Amérique latine, de 1942 à 1946, où il réorganise le système bancaire et monétaire de plusieurs républiques), du F.M.I. (1947-1949), du Département d'État (1949-1951), puis, à différentes occasions, auprès de la Commission européenne ; enfin, l'intellectuel engagé. Il militera contre la guerre du Vietnam ; en 1968, les étudiants du Berkeley College le portent aux nues. Mais, surtout, en âme et conscience, il est l'inlassable avocat du plan Triffin sur la réforme monétaire internationale (1961). Comme Jacques Rueff, Triffin a vu, dès la fin des années 1950, que la reconstitution[...]

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  • CHANGE - Le système monétaire international

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    Le dilemme de Triffin permet de comprendre plus finement l'origine de l'inconvertibilité du dollar. En 1960, Robert Triffin, alors professeur à Yale, avait d'abord dénoncé vigoureusement l'importance prise par les monnaies de réserve, en particulier le dollar américain, dans les réserves...