ROSSELLINI ROBERTO (1906-1977)
Le surnaturel incarné
Rossellini nous entraîne à cent lieues de l'Italie, en guerre ou d'après-guerre : il convie à s'interroger sur l'homme universel, sa servitude, sa vocation à la liberté, son obstination à faire éclater un monde de grimaces et de faux-semblants (en cela sans doute il a durablement influencé Fellini, qui fut longtemps son collaborateur et son ami). Face à la trahison permanente des pharisiens, Rossellini oppose le courage tranquille du pauvre publicain, de l'homme seul (ou de la collectivité confondue avec son chef, dans Viva l'Italia ! 1960). Quand ce sursaut est impossible, il reste la ressource du suicide, celui de l'enfant d'Allemagne année zéro, par exemple (Germania anno zero, 1947), ou de la retraite (Vanina Vanini, 1961).
Le moins admirable n'est pas que la dimension spirituelle soit atteinte ici sans effort, sans lourdeur moralisante, mais tout au contraire à travers le document brut, le spectacle le moins enjolivé. C'est la surface même des choses, filmée crûment, qui découvre sa propre richesse surnaturelle. La beauté réside tout entière dans l'incarnation et le mystère qu'elle exhale (on peut penser, par exemple, à certains plans de pure contemplation, presque panthéiste, dans les Fioretti). On est en présence d'une sorte de documentaire sur l'être, d'exploration « en direct » du mystère de la personne. Dans ces perspectives, il est permis de dire que le néoréalisme trouve ici son point d'application le plus radical.
En outre, Rossellini a toujours proscrit les idées générales, le « message », la thématique préalable à la mise en chantier de l'œuvre. « Il faut connaître les choses, dit-il, en dehors de toute idéologie. Toute idéologie est un prisme ». Pour lui, le cinéma ne doit être en aucun cas une affaire d'idées, mais d'abord une affaire de sentiments. Tous les sujets de ses films, de ce point de vue, se ressemblent : ils ne tendent qu'à l'affirmation patiente, têtue, de la dignité de l'homme ou de la femme par-delà la méchanceté, l'envie, la jalousie, la peur. La trajectoire esthétique épouse ici le difficile chemin qui conduit l'être vivant à l'affirmation juste et haute de soi, au-delà de tout ce qui peut l'asservir, l'humilier. En un mot, l'œuvre de Rossellini témoigne d'un sursaut désespéré de défense de l'individu.
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Écrit par
- Claude BEYLIE : docteur ès lettres, professeur émérite à l'université de Paris-I, historien du cinéma
Classification
Média
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