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ROSSELLINI ROBERTO (1906-1977)

Un cinéma « dédramatisé »

Rossellini ne se borne cependant pas à mettre en scène des cas typiques d'individualisme exacerbé. Il se refuse, dans son approche de l'événement ou de la créature choisis comme témoins, à toute violation, à tout morcellement, comme il est de règle dans le roman, au théâtre et à l'écran. Rossellini est l'un des premiers qui ait osé dédramatiser le cinéma. Sa caméra se borne à accompagner ses protagonistes dans leurs découvertes, leurs impressions, à les placer dans un paysage qui reflète leurs états d'âme, à enregistrer – tel l'électrocardiographe de La Peur – les pulsations de leur cœur. Sa caméra n'est en somme qu'un œil qui regarde, au travers de la conscience, presque toujours inquiète, souvent déchirée, de ses personnages. Voilà tout son réalisme : s'identifier comme par transmission occulte aux mouvements d'une âme, aller toujours plus au fond de la vie intime d'un être, ou d'un milieu, et, par suite, décanter le réel, le dépouiller de ses oripeaux, le creuser jusqu'à l'os. La vérité est intérieure et cette pénétration lente, respectueuse, ne tarde pas à la faire jaillir à nos yeux. C'est le cas de Voyage en Italie (Viaggio in Italia, 1953) par exemple : un homme et une femme marchent dans la ville, chacun de leur côté, avec leurs dérisoires problèmes de tous les jours, et se trouvent brusquement confrontés avec le sentiment de la vie éternelle, de la pérennité des choses ; c'est le cas aussi du final des Actes des Apôtres (1969) : le monde nous apparaît transfiguré par la grâce de Dieu, et cela concerne le site le plus dépeuplé, la cahute la plus misérable.

De là procède une conception de la mise en scène dont Rossellini n'a jamais dévié : souplesse des mouvements de caméra (facilitée, dans les œuvres de télévision, par le recours constant au Pancinor), composition des plans aussi peu savante que possible, dédain du montage, et surtout direction d'acteurs inimitable. Rarement, en effet, ce « détecteur d'âmes » qu'est Rossellini a fait appel à des comédiens professionnels. Ses interprètes, il les recrute volontiers parmi ses amis, ses confrères (il a ainsi dirigé Fellini dans Le Miracle, Ettore Giannini dans Europe 51, et dans Le Général de La Rovere un Vittorio de Sica pour le moins inattendu), voire sa plus proche compagne ( Ingrid Bergman), qu'il astreint alors à un effort particulier de « déstarification » ; certains de ses héros masculins (George Sanders, Mathias Wieman) sont des « doubles » approximatifs de lui-même ; quant aux acteurs qu'il emploie dans ses essais télévisés, ils contrastent tous étrangement avec le conformisme en vigueur : Jean-Marie Patte a campé ainsi un Louis XIV d'une rare sobriété (La Prise du pouvoir par Louis XIV, 1966). Que sont-ils, les uns et les autres ? De pauvres créatures de Dieu, des visages anxieux sur lesquels se lit le lent travail de la grâce, inconscients d'ailleurs pour la plupart du rôle qu'on leur fait tenir. Des saints ou des innocents, ils ont le regard chargé de lumière, le comportement insolite (ou insolent), la parole rare et grave. N'importe qui, dès lors, et de préférence le moins « acteur » possible, peut se prêter à cette sublimation des apparences, Rossellini ne demandant à chacun que de se « remettre dans sa vraie nature », de « rapprendre ses gestes habituels ».

Cette conception audacieuse, voisine d'une ascèse, faite de la plus totale humilité, selon les uns (Federico Fellini, par exemple, qui affirme : « Le principal enseignement que j'ai reçu de Rossellini a été, je crois, une leçon d'humilité »), d'orgueil pour les autres, devait inéluctablement conduire Rossellini au refus pur et simple de la « chose cinématographique », de plus en plus tournée, à l'en croire, vers[...]

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, professeur émérite à l'université de Paris-I, historien du cinéma

Classification

Média

<em>Paisà</em>, R. Rossellini - crédits : OFI-FPP/ Everett Collection/ Bridgeman Images

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