ROCHERS DE LETTRÉS. ITINÉRAIRES DE L'ART EN CHINE (exposition)
Contemplation et création
Une pierre noire à inclusions orange et fines veines de blanc, d'une beauté puissante, offre ainsi trois inscriptions. La première est signée au xive siècle par le poète, collectionneur et calligraphe Gu Dehui, et porte son poème : « Les pics multiples se suivent avec élégance, en accord avec les huit tons, seul entre ciel et terre, il est de ce fait un mystère. » Sur le même rocher, le peintre Wang Shimin ajoute au xviie siècle un autre texte : « Le ciel pur et le soleil brillant protègent la pierre Lingbi géante, les huit tortues géantes portent et fixent la montagne et ses pics, sa lumière sans limite lui vient de la Grande Ourse. » Et la troisième inscription, non datée, exalte la pierre : « Suite de pics montagneux, essence verdoyante, clairs rayons lumineux accumulés, neige épaisse émouvante, montagnes qui serpentent, profond silence au bord des eaux et des pics, énergie contenue comme des nuages gorgés de pluie. »
Tous ces mots qui évoquent les échanges entre les composantes du monde – les montagnes, les étoiles, l'eau, la neige, la lumière... – confirment ce brassage vivant entre les matières et les champs d'énergie. Dans le cabinet du lettré, divers objets, certains créés pour un usage précis, d'autres de pure délectation, font écho à l'animation mystérieuse des rochers. L'écran de table, qui sert à l'origine à protéger du vent l'encre et le papier, est souvent fait d'un cadre de bois dans lequel est enchâssée une pierre plate polie, dont la bichromie et les veines font l'équivalent d'une peinture de paysage. Le lettré peut utiliser un pot à pinceau, souvent en loupe de bois, parfois tout à fait cylindrique mais superbement veiné, parfois totalement noueux et torturé dans sa forme extérieure. La pierre à encre, le pose-pinceaux, le lave-pinceaux sont en bois, en terre cuite, en pierre. Le presse-papier est de petite taille, en pierre, en bronze doré ou à incrustations, prenant souvent la forme d'un animal observé ou imaginaire.
Le mystère est que, si une connaissance intime de la culture chinoise ancienne est sans doute nécessaire pour saisir tout le sens de ces objets, leur beauté est telle que, pour celui qui leur donne toute l'attention de son regard, elle s'impose de manière immédiate, comme la vibration d'un mouvement qui naît de l'immobile et y retourne.
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Écrit par
- Christian HECK : professeur émérite d’histoire de l’art à l’université de Lille
Classification
Média