RODIN. L'EXPOSITION DU CENTENAIRE (exposition)
L’invention absolue
Le génie de Rodin fut aussi bien d’assimiler la pratique académique de la taille du marbre par mise aux points – et le métier de sculpteur de commandes sous la IIIe République – que de se montrer indépendant et brutalement moderne, révolutionnaire, dans ses pratiques, ses formes imparfaites, inachevées, et ses rapports avec ses commanditaires. L’exposition lui a rendu très légitimement justice, en montrant ses inventions, qui vont du dessin ou de l’aquarelle à la composition agrandie en plâtre, bronze ou marbre, en passant par des esquisses aussi allègres qu’expressives et des fragments ou des assemblages qui transforment les reprises en compositions inédites. Rodin dessine puis complète à l’aquarelle des nus d’une extraordinaire crudité, il modèle en terre, puis intervient sur le moulage en plâtre pour faire plus vrai que nature. Il pratique aussi le recyclage – à partir de 1900 notamment – et invente des œuvres nouvelles faites de morceaux de sculptures, comme l’extraordinaire Absolution – présentée dans le même temps au musée Rodin –, qui associe deux corps de plâtre, une caisse de bois et un drap plissé enduit lui aussi de plâtre. Un nouveau Rodin dirait-on, un Rodin jamais vu en tout cas, retrouvé dans les réserves du musée de Meudon et soigneusement restauré.
Absolution– et c’est sans doute là la marque du chef-d’œuvre – fait voler en éclat, par sa puissance plastique, toute classification, ainsi de celle qui servait de soubassement à l’exposition. De fait, si les trois étages du Grand Palais se divisaient, classiquement, en « Rodin expressionniste », « Rodin expérimentateur » et « Rodin : l’onde de choc », les œuvres du sculpteur auraient pu sans difficulté passer d’une section à une autre. Le Balzac, les Bourgeois de Calais, Iris messagère des dieux, et tant d’autres, incarnent la maîtrise insolente du sculpteur dans ces trois registres tant il se montre chaque fois expressif au plus haut point, expérimentateur de procédés inédits et inventeur d’une poétique nouvelle de la sculpture, faisant des traces d’outil, du processus même de la fabrication de la forme, le cœur de son inventivité.
Ce rapport révolutionnaire à la matière suppose une approche nouvelle du corps humain, dans sa crudité, dans son énergie sexuée, dans sa puissance sensible. Plusieurs génies créateurs associés à l’exposition – Matisse, Giacometti, Germaine Richier ou le peintre Fautrier, l’expressionniste américain Willem De Kooning, le trop méconnu Dodeigne et Alain Kirili – se tiennent sur cette ligne de crête si exigeante, qui fait de la matière sculptée le lieu d’exploration du corps humain, dans sa matérialité mystérieusement transcendante. L’exposition du centenaire a bien montré que Rodin incarne, aujourd’hui encore, cette fulgurance extrême, qui ne traverse, bien sûr, qu’une poignée d’artistes contemporains.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Paul-Louis RINUY : professeur d'histoire et de théorie de l'art contemporain, université de Paris VIII
Classification
Média