SAVERY ROELANDT (1576-1639)
Séduisant représentant par ses paysages de fantaisie du grand maniérisme international que l'on voit fleurir sous Rodolphe II à Prague, et tenant aussi d'un réalisme scrutateur et curieux qui débouche sur une exploration nouvelle des pouvoirs de la peinture, Savery ressemble par ces traits à plusieurs peintres contemporains, tels les paysagistes Gillis van Coninxloo, Hans Bol, David Vinckboons, avec lesquels il a des affinités artistiques qui impliquent certains contacts. Savery appartenait, sans doute, à une famille flamande émigrée dans le Nord pour des raisons religieuses (protestants fuyant les Pays-Bas catholiques du Sud) ; ainsi Savery avait-il un frère aîné peintre, Jacob, dont on sait peu de chose (quelques paysages peints dans le goût de Hans Bol), qui obtint en 1591 le droit de cité à Amsterdam, où il mourut à trente-deux ans (en 1602).
Comme le montre une petite Tour de Babel de 1602, l'un de ses plus anciens tableaux datés que l'on connaisse, conservé à Nuremberg, Savery accuse dès ses premières œuvres l'influence de paysagistes bruegéliens comme Hans Bol, sensible aussi dans le ravissant Sac d'un village de 1604 (musée de Courtrai) rendu avec la finesse de l'aquarelle (comme Hendrick van Cleve ou les Grimmer). Mais s'y ajoute bientôt le lyrisme sylvestre plein de charme irréel et fantastique, cher à Gillis van Coninxloo, au premier Bril et à l'école de Frankenthal, qui recevra chez Savery un magnifique développement avec les visions alpestres du Tyrol.
En 1604, Savery est en effet à Prague, au service de Rodolphe II de Habsbourg, petit-fils de Charles Quint et grand mécène qui anime l'un des plus féconds foyers d'art maniériste de transition. Là, de nombreux artistes nordiques se retrouvent comme Aegidius Sadeler (le zélé graveur de Savery), Hoefnagel, Spranger. C'est alors que Savery visite le Tyrol et multiplie ses étonnants dessins aquarellés d'animaux pittoresques et de rochers capricieux (qui se trouvent pour la plupart au cabinet des Estampes de Berlin et à l'Albertina à Vienne). Il puise inlassablement dans ce vaste répertoire décoratif pour les innombrables commandes d'Arche de Noé, de Paradis terrestre (sujet à la mode où un Bruegel de Velours triomphe aussi), d'Orphée charmant les animaux, commandes qui lui vinrent d'abord de Rodolphe II et de ses familiers ; aussi bien sa première Chasse est-elle de 1609, son premier Orphée de 1610. Dès lors, Savery ne devait plus changer d'inspiration, même après son retour définitif aux Pays-Bas, en 1618 (il est temporairement à Amsterdam en 1612 et en 1616, à Venise encore en 1614, à Utrecht, en 1619, où il mourra). Son exotisme féerique, qui perce également dans ses nombreux et exquis bouquets de fleurs à la Bosschaert ou à la Bruegel (un des premiers, daté de 1604, est celui du musée d'Utrecht), répondit visiblement à une grande demande commerciale. (Un peu plus tard, un Frans Post lançait non moins efficacement la légende picturale d'un Brésil fabuleux : le xviie siècle néerlandais est riche ainsi de telles évasions de Coninxloo à Hercule Seghers, de Poelenburgh à Allaert van Everdingen.)
Comme bons exemples de ces paysages irréels, au format allongé, aux vertes frondaisons capricieusement détachées contre un ciel bleuâtre fin et pâle, aux longs rayons obliques de soleil trouant de façon dynamique les masses de feuillage savamment architecturées, on citera des œuvres telles que Paysage au bord de la mer du musée des Offices à Florence (1614), Bûcherons et l'Orphée charmant les animaux du Kunsthistorisches Museum à Vienne (1610), Cavaliers hongrois du Louvre, Ruines de l'Institut néerlandais à Paris (avec une fausse signature significative, « Bril »). L'œuvre peint de Savery est abondant et très dispersé dans les musées européens.
L'artiste exercera[...]
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Écrit par
- Jacques FOUCART : conservateur des Musées nationaux, service d'études et de documentation, département des Peintures, musée du Louvre
Classification
Média
Autres références
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DODO
- Écrit par Eric BUFFETAUT
- 2 036 mots
- 1 média
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