CAILLOIS ROGER (1913-1978)
Comme les pierres qu'il aimait tant et dont il fut le poète, Roger Caillois présente plusieurs facettes au premier abord contradictoires. Cet ancien surréaliste, normalien agrégé de grammaire, qui fut haut fonctionnaire de l'U.N.E.S.C.O. et entra en 1971 à l'Académie française, savait ainsi par cœur le Discours de la méthode et admirait Montesquieu auquel, d'ailleurs, on pourrait parfois le comparer. Alors qu'il avait préféré d'abord la sociologie à la littérature et dénoncé les Impostures de la poésie, Caillois maniait néanmoins chaque mot « avec un soin philatélique », et, quelques semaines avant sa mort, formulait le souhait que l'on gardât de lui l'« image d'un poète ». Cet infatigable lecteur, auteur lui-même de plus d'une trentaine d'ouvrages, devait enfin dans l'un de ses derniers livres, Le Fleuve Alphée, exprimer son effroi en face du « monde cancérigène des bibliothèques, des livres et des journaux ».
Par-delà ces apparentes contradictions, on doit pourtant souligner la profonde unité de la démarche de Roger Caillois. Sa vie et son œuvre, consacrées à l'analyse des secrets et des mécanismes de l'imagination, confirment cette loi de cohérence qu'il cherchait à faire apparaître en traquant les correspondances entre les faits sociaux, les images poétiques et le « fantastique naturel » du monde des insectes et des minéraux. Celui qu'André Breton avait fort justement qualifié de « boussole mentale » était en effet persuadé « de la prééminence sous le vacarme général d'une architecture dépouillée » qu'il invitait les sciences à découvrir en sortant de leur spécialité et en se faisant « diagonales ». La diversité des domaines abordés par Caillois ne doit pas laisser croire à la superficialité de ses travaux : il étudie avec la même rigueur et la même érudition aussi bien la poésie de Saint-John Perse que les jeux de cartes ou les météorites.
Du surréalisme à la sociologie
Malgré ses réticences à l'égard de l'écriture automatique, Caillois, que Breton avait recruté en 1932, fut d'abord un membre fidèle du groupe surréaliste. Comme la psychanalyse et le marxisme, auxquels il adhère aussi, le surréalisme permettrait, pensait-il, « la liquidation définitive de la littérature », qu'il voulait remplacer par l'étude « psychologique ou sociologique des pulsions ou instincts qu'elle tendait à satisfaire ». Ainsi, après avoir fait en 1935 le Procès intellectuel de l'art et créé en 1938, avec Bataille et Leiris, le Collège de sociologie, il analysera en 1941, dans Puissances du roman (où il attirera d'ailleurs l'attention de la critique sur le roman policier), le rôle du roman dans la société. Caillois ne tarda néanmoins pas à considérer les activités surréalistes « comme de simples jeux de société » et, tout en reconnaissant l'apport de Marx et de Freud, à suspecter en raison de leur prétention à l'infaillibilité les « sortes d'églises » auxquelles leurs œuvres ont donné naissance (Description du marxisme reviendra sur ce sujet en 1950). La querelle des « haricots sauteurs » révéla en 1934 les profondes divergences qui existaient entre Breton et Caillois sur la conduite à adopter en face du merveilleux : alors que Caillois, soucieux d'en percer le mystère, proposait que l'on ouvrît ces fèves, Breton s'y opposa en criant au sacrilège. Le lendemain, Caillois quittait le groupe surréaliste en expliquant : « L'irrationnel, soit ; mais j'y veux d'abord la cohérence. » Il ne renoncera jamais à cette exigence qu'illustrera, dès 1937, La Mante religieuse. Dans cet essai, qui annonce les réflexions plus vastes du Mythe et l'homme (1938) et de L'Homme et le sacré (1939), celui qui avait[...]
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Écrit par
- Vital RAMBAUD : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé de lettres, assistant de littérature française à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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