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CAILLOIS ROGER (1913-1978)

Diagonales

Déjà persuadé de la nécessité de promouvoir ce qu'il appellera plus tard les « sciences diagonales », Caillois avait, en 1953, créé dans le cadre de l'U.N.E.S.C.O. la revue Diogène, dont le but était de « compenser le découpage parfois dangereusement parcellaire des différents domaines de la recherche par des coupes transversales dans le savoir ». C'est d'ailleurs ce qu'il fait lui-même, quand, parcourant le champ de l'irrationnel et de l'imaginaire, il étudie, parallèlement à ses travaux de sociologie, les rêves et le fantastique. Cette investigation « diagonale » ou encore « oblique » lui permet de constater que, comme il le supposait en face des « haricots sauteurs », il y a une cohérence de l'irrationnel et une logique de l'imaginaire. La préface de son Anthologie du fantastique en 1958 et Au cœur du fantastique en 1965 montrent ainsi que le fantastique, qui, à la différence du merveilleux, est pourtant « rupture de la cohérence universelle », non seulement obéit toujours aux mêmes schémas mais peut encore, bien que ceci semble paradoxal, être « naturel », comme en témoigne l'existence de ces « animaux insolites » qui, de la mante religieuse en 1937 à la pieuvre en 1973, ont toujours fasciné Caillois. Ses recherches lui révèlent aussi des correspondances entre des domaines que rien a priori ne devrait rapprocher. Les fonctions essentielles du masque correspondent, par exemple, à celles du mimétisme animal qui constitue le sujet principal de Méduse et Cie en 1960. Les pierres elles-mêmes présentent, comme le montre en 1970 L'Écriture des pierres, de singulières ressemblances avec les peintures humaines ou la géométrie.

« Tour à tour explorateur et comptable », Caillois s'efforce d'inventorier et de classer l'univers, afin d'en révéler soit la syntaxe, soit un principe fondamental comme la dissymétrie. Admirateur de la table périodique des éléments, il se propose même, en 1962, dans une démarche analogue à celle de Mendeleïev, de rédiger une Esthétique généralisée, où il entend « examiner les choses dans leur ensemble et essayer de dénombrer les classes du possible ». Constatant aussi l'unité de ses recherches, il réédite certains textes en les classant par grandes rubriques : Approches de l'imaginaire, Obliques, Approches de la poésie et Rencontres. Le Fleuve Alphée, où, en 1978, Caillois, par-delà sa fidélité aux pierres, semble renier ses travaux antérieurs en enfermant dans une « parenthèse » les livres qui sont « la mer où l'on ne laboure pas », peut paraître déranger cette ordonnance. Pourtant, quand il expose sa méfiance à l'égard de la « cogitation » et de l'« esprit de système », il manifeste, une fois de plus, son refus d'être dupe et d'oublier que l'univers, qu'il s'était plu à comparer à un « échiquier », est aussi un « roncier ». Comparant son destin à celui d'un fleuve mythologique, Caillois ne nous donne-t-il pas enfin un ultime exemple de ces « récurrences dérobées » dont nous parlera encore son dernier livre, Le Champ des signes ?

— Vital RAMBAUD

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé de lettres, assistant de littérature française à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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