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CHARTIER ROGER (1945- )

Président du conseil scientifique de la Bibliothèque nationale de France ; puis de l'École nationale supérieure des sciences de l'information et des bibliothèques, Directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, professeur au Collège de France à partir de 2007, les fonctions et les honneurs qui distinguent Roger Chartier couronnent à la fois une carrière et une discipline. La carrière est celle d'un fils de la Libération (il est né en 1945) qui a hésité un moment entre des études de lettres et d'histoire, puis s'est laissé fasciner par les cours d'Alphonse Dupront, par le séminaire de Denis Richet et plus généralement par le travail de la VIe section de l'École pratique des hautes études, qu'anime l'esprit des Annales.

La discipline qu'il a contribué à définir est celle de l'histoire des pratiques culturelles. L'école des Annales, la revue fondée par Marc Bloch et Lucien Febvre dans l'entre-deux-guerres, avait déplacé l'attention de l'historien de l'événement vers les phénomènes économiques, sociaux et culturels. Elle a donné naissance aux grands travaux que l'on sait sur la vie des régions françaises et sur les évolutions de longue durée. Elle se trouve aussi à l'origine d'un effort quantitatif qui, relayé par l'outil informatique, a cru trouver dans la description chiffrée le modèle indépassable d'une analyse rigoureuse, au risque de réduire la culture à un schéma social préétabli. La nouvelle histoire culturelle ne s'intéresse pas tant aux objets eux-mêmes, qui ne peuvent être étiquetés de manière univoque, qu'à leurs fonctions, à leurs utilisations diverses, voire contradictoires. L'école des Annales s'était nourrie de travaux de sociologie. La recherche de Roger Chartier, quant à elle, a cherché à intégrer les réflexions de Louis Althusser, de Michel Foucault et de Pierre Bourdieu, pour affiner les relations entre une société et les idéologies ou les représentations qui lui sont inhérentes.

Formation de l'individu moderne

Un tel cheminement méthodologique, une telle carrière supposent un travail collectif ou encore, selon la formule de Roger Chartier, renvoyant aux habitudes intellectuelles et artistiques les plus anciennes, un travail d'atelier. Son premier livre, L'Éducation en France du XVIe au XVIIIe siècle, est cosigné avec Marie-Madeleine Compère et Dominique Julia. Il distingue l'éducation, qui, indépendamment de l'écrit, a longtemps assuré la transmission des savoirs et des savoir-faire, et la scolarisation, qui impose une nouvelle culture, savoir livresque mais aussi sociabilité, modelage des corps et des cœurs. Des dépouillements patients et des comptages précis sont résumés en tableaux, quantifiant l'alphabétisation et toute l'acculturation, non seulement par couche socioprofessionnelle, mais aussi par région (Nord et Sud), par forme d'habitat (ville ou campagne), par origine (natif ou immigrant) et par sexe. L'institution scolaire est ainsi resituée dans une histoire à long terme des rapports entre l'écrit et l'oral, dans un vaste phénomène de normalisation qui correspond à la naissance de l'État moderne.

De grandes entreprises collectives ont relayé ce premier chantier : l'Histoire de la France urbaine, sous la direction de Georges Duby, dans laquelle Roger Chartier participe aux chapitres concernant la « ville dominante et soumise », de la Renaissance au classicisme, l'Histoire de la vie privée, dont il dirige le tome qui va des Temps modernes aux Lumières, enfin et surtout la monumentale Histoire de l'édition française, qu'il conçoit avec Henri-Jean Martin. Les perspectives qui gouvernent ces trois chantiers sont différentes. Une même problématique se dégage pourtant[...]

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Écrit par

  • : professeur de littérature française à l'université de Paris-IV-Sorbonne

Classification

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  • HISTOIRE (Histoire et historiens) - L'écriture de l'histoire

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