GILBERT-LECOMTE ROGER (1907-1943)
Né à Reims dans un milieu bourgeois, Roger Lecomte (il ne deviendra Roger Gilbert-Lecomte qu'en 1928 pour se démarquer d'un père incompréhensif et inflexible) rencontre pendant ses années de lycée Roger Vailland et René Daumal avec lesquels il crée, encore adolescent, la revue Apollo. Les trois amis obéissent alors à la doctrine du « simplisme », qui consiste à préserver obstinément l'esprit de l'enfance. Très tôt, dès 1923, le groupe s'initie aux drogues. Vailland sera hospitalisé en 1927 pour intoxication d'opium. Quant à Gilbert-Lecomte, il sombre dans une dépendance totale : « Lecomte était persuadé qu'une fatalité pesait sur lui, due à l'hérédité ; qu'il ne pouvait s'accepter tel qu'il était, se supporter, supporter la vie, sans la drogue », écrira Daumal en 1944. La drogue l'aide aussi à se « faire voyant » et à obéir ainsi au commandement rimbaldien. Dès le no 2 du Grand Jeu, revue qu'il fonde en 1928 avec, entre autres, Daumal, Vailland et le peintre Sima, Roger Gilbert-Lecomte dit son admiration pour Rimbaud : « Il montre la limite de tout individu parce qu'il vécut lui-même à la limite de l'individu. » Dans ce même texte, il condamne l'art pour l'art et les artistes frileux qui créent parcimonieusement, avec science et patience. Pour Gilbert-Lecomte, à travers l'art, ce sont l'absolu, le rare et une certaine démesure qui doivent être visés. N'avait-il pas lui-même affirmé : « Écrivant peu, je me promets de n'écrire que l'essentiel » ?
Il aura fallu attendre 1971, et un retentissant procès contre sa légataire, pour que soient enfin publiées ses Œuvres complètes. Elles se composent de poésies, d'écrits critiques et théoriques, voire doctrinaires, destinés au Grand Jeu, de fragments d'ouvrages abandonnés ou à venir. Pour la poésie, deux titres s'imposent : La Vie l'Amour la Mort le Vide et le Vent (1933) et Le Miroir noir (1938). On y retrouve son goût pour les jeux de mots, à côté d'une angoisse sourde et pure :
— Qu'est-ce que la vie ?
— L'amour du vent.
— Qu'est-ce que la mort ?
— L'amour du vide.
— Et qu'est-ce que l'amour ?
— La vie du vent, la mort du vide.
Les quatre numéros du Grand Jeu (trois seulement parurent) contiennent de nombreux textes polémiques, notamment à l'endroit du surréalisme et de Breton auquel Gilbert-Lecomte reproche d'avoir sacrifié la candeur et la folie de « l'esprit d'enfance » à la froide lucidité des chefs et au cynisme des directeurs de conscience. Sa mort brutale — il meurt à trente-six ans, foudroyé par le tétanos, après une longue période de détresse, marquée par la misère et la drogue — allait le transformer un peu hâtivement en figure mythique de la littérature, nouveau Rimbaud, frère d'Artaud.
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Écrit par
- François POIRIÉ : écrivain, critique littéraire à France-Culture
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