IKOR ROGER (1912-1986)
À contre-courant de son époque, Roger Ikor se présentait volontiers comme l'héritier de Romain Rolland et l'apôtre du roman-fleuve. Accablant d'un même dédain la peinture abstraite et la musique sérielle, l'« architecture carrée » et Alain Robbe-Grillet, il est resté fidèle, comme son ami Gilbert Cesbron, à cette fiction réaliste, proche du témoignage, qui lui valut en 1981 le prix Balzac pour l'ensemble de son œuvre.
Moraliste sans dieu, homme de gauche rebelle aux chapelles politiques, Roger Ikor reconnaissait devoir à son père, émigré lituanien, son thème dominant : celui de la dignité humaine. Une dignité qui passe d'abord par la culture, première façon, pour le rescapé des pogroms tsaristes devenu photographe à Paris, de témoigner sa gratitude au pays qui a gracié Dreyfus. Lorsque Roger Ikor naît, le 28 mai 1912, son père s'est offert assez de répétiteurs pour entretenir son fils dans un véritable culte du savoir. Après des études classiques aux lycées Condorcet et Louis-le-Grand, Roger Ikor entre à l'École normale supérieure en 1934. L'année suivante, il est reçu à l'agrégation de grammaire. Professeur de français à Avignon de 1937 à la déclaration de guerre, il est mobilisé en 1939 comme officier de renseignements. Fait prisonnier à Lille en mai 1940, il sera détenu pendant cinq ans dans un oflag de Poméranie. Là, il fonde une organisation de résistance, dirige un journal clandestin, et réussit à s'évader peu avant la Libération. De retour en France, Roger Ikor enseigne dans plusieurs lycées parisiens. Nommé maître-assistant à la Sorbonne en 1969, il en devient professeur honoraire à partir de 1973. Très attaché à la pédagogie traditionnelle, il sera hostile à la contestation de mai 1968, même s'il prône le dialogue et s'interdit « les jugements pessimistes globaux sur les jeunes générations ».
Du roman à l'essai, du pamphlet au recueil de souvenirs, la marge est étroite, et l'inspiration de Roger Ikor est essentiellement autobiographique. Dans son premier recueil de nouvelles, écrit en captivité (Ciel ouvert, 1950), il constate : « On ne peut combattre la Bête qu'au nom d'une morale. » Dans ses romans, c'est cette morale qu'il recherche, à travers des personnages dont le drame personnel s'intègre à un drame collectif. Ainsi, À travers nos déserts (1951) retrace le destin de sa génération sacrifiée. On y découvre, trahie, bafouée, la plus belle des exigences, celle de l'authenticité. Convaincu qu'« un écrivain qui ment trahit sa mission », l'auteur publie en 1955 Les Fils d'Avrom, épopée d'une famille juive réfugiée en France en 1898, comme sa propre famille. Il aborde dans ce livre le thème de l'assimilation avec un souci de vérité qui lui fera taxer d'hagiographie philosémite Le Dernier des justes d'André Schwarz-Bart. Montrer que les Juifs sont des hommes comme les autres, et qu'ils ne sont pas exempts eux-mêmes de racisme, telle est, selon Roger Ikor, la seule façon de désamorcer toute récupération antisémite. Le second tome des Fils d'Avrom, Les Eaux mêlées, lui vaudra le prix Goncourt en 1955. Avec Si le temps..., nouvelle saga familiale, mais en six volumes cette fois (1960-1969), il propose un roman initiatique qui se déroule de 1950 à nos jours, et qui est un peu la projection du Jean-Christophe de Romain Rolland. Son héros y proclame en particulier, à propos de la guerre d'Algérie, son refus radical de la torture en des termes qui rappellent ceux d'Albert Camus. Dans Le Tourniquet des innocents (1972), l'intention devient d'ailleurs ouvertement didactique : Roger Ikor tente un rapprochement, qu'il voudrait impartial, entre les années 1934-1936, celles de sa propre jeunesse, et les événements de mai 1968. Au nom[...]
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Écrit par
- Nadine SAUTEL : maîtrise de philosophie, critique littéraire, écrivain, romancière, auteur dramatique
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