MUNIER ROGER (1923-2010)
Roger Munier est né en 1923 à Nancy. Après avoir dû interrompre ses études en 1940 pour raisons de santé, il entre chez les Jésuites en 1944. Il quittera l'ordre en 1953.
Cet écrivain – à la fois essayiste, traducteur, poète et philosophe – chemine hors littérature, dans la voie d'un questionnement de l'être, et cherche à se faire l'écho impersonnel d'une parole qui le traverse. Une orientation résolue vers la spiritualité l'entraîne à la publication de grands textes mystiques de tous horizons religieux et à diffuser par ses traductions des voix qui explorent l'espace intérieur : Angelus Silesius, Maître Eckhart et quelques poètes et penseurs contemporains de langue espagnole, Roberto Juarroz, Octavio Paz, Antonio Porchia. Roger Munier s'est d'abord fait connaître par ses traductions de Heidegger : La Lettre sur l'humanisme, Postface à Qu'est-ce que la métaphysique ? et Le Retour au fondement de la métaphysique (in Questions I et III). Son approche de l'énigme du monde révèle une parenté profonde avec le philosophe allemand, mais aussi avec la pensée du vide que formule le taoïsme et avec la poésie du haïku, dont il traduira une anthologie en 1977. Enfin, il ne faut pas oublier la figure capitale de Rimbaud, à qui Munier a consacré plusieurs essais, parmi lesquels L'Ardente Patience d'Arthur Rimbaud (1993).
Son premier essai, Contre l'image (1963), s'interroge sur l'essence du réel que les techniques photographiques parviennent à surprendre dans sa vie propre. Un même questionnement, celui de notre rapport à l'inaccessible réel, parcourt tous ses recueils (L'Instant, 1973 ; Le Moins du monde, 1982 ; L'Ordre du jour, 1982 ; Le Visiteur qui jamais ne vient, 1983 ; Tous feux éteints, 1992 ; Opus incertum, 1984-1986, et 2002). Impossible présence à soi de l'homme, dont nous croyons discerner le secret dans le témoignage muet de l'inanimé, dans ce « il y a » (Le Contour, l'éclat, 1977) qui est appel et existe plus fortement de n'être jamais expliqué. Roger Munier réitère inlassablement ce mouvement vers le monde qui toujours se dérobe dans l'attente du « visiteur qui jamais ne vient », pour reprendre le titre du recueil publié en 1983 à partir de ses carnets. Il s'agit « d'atteindre le monde comme il est monde, [de] se porter vers cela sans mot, sans pensée, presque sans regard ». Aussi faut-il que les mots sachent se taire pour percevoir le bruit de fond de la vie, et que le poète soit l'humble réceptacle de ce qui advient au-dehors sans jamais forcer la langue. Il doit œuvrer à la limite de l'effacement, comme en témoigne le recueil publié en 1985 sans nom d'auteur : La Corne de brume. Cette parole est donc guidée par la nécessité de l'« instant », saisie fugitive au hasard des jours. Les mots sont le fruit d'une écoute, d'un moment d'incandescence qui exclut la continuité. D'où une écriture fragmentaire plus apte à restituer la présence rendue à la fois plus opaque et plus intense d'avoir été nommée. Dès lors, le rôle du poète est-il cette approche perpétuellement différée, tentative de déchiffrement dans les choses les plus banales, du divin seulement présent là où il se dérobe (L'Extase nue, 2003 ; Le Su et l'Insu, 2005).
Roger Munier a vécu dans l'amitié des poètes (Yves Bonnefoy, André Frénaud) et des peintres (Vladimir Hollan, Bazaine, Nasser Assar), auxquels il a consacré de nombreuses études.
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Écrit par
- Sylvie JAUDEAU : écrivain
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