VAILLAND ROGER (1907-1965)
À l'automne de 1945 paraît Drôle de jeu, roman de la Résistance et prix Interallié. Le héros en est François Lamballe, dit Marat. Dans le choix de ces patronymes l'un aristocratique, l'autre roturier (et de plus révolutionnaire) se trouve résumé tout le paradoxe et le drame de Roger Vailland. Promenant son profil d'oiseau de proie sur le champ de bataille, avec cet air revenu de tout qui caractérise le libertin, il « joue ». Quoi ? sa vie. Étant son premier spectateur, et le plus exigeant, il recherche, comme l'aficionado, le geste parfait. Le comment enveloppe le pourquoi. Cette esthétique du spectateur, ce « regard froid » (titre qu'il donnera à un recueil d'essais paru en 1963) définit une morale dégagée. En contrepartie, le libertin est « un homme seul ». S'il participe aux combats de ce monde, c'est comme Fabrice sur le champ de bataille de Waterloo, en personnage facultatif. Définissant ses liens avec la politique, celle du Parti communiste en l'occurrence, Vailland-Marat déclare : « Je suis fils de bourgeois. Je lutte contre ma classe de toutes mes forces, mais j'ai hérité de ses vices, j'aime son luxe, ses plaisirs. »
D'origine petite-bourgeoise (son père était architecte), Vailland fait partie au lycée de Reims d'un groupe de dissidents, les Phrères simplistes, qui se reconstitue à Paris sous le nom de Grand Jeu. Cette initiation à la littérature, à l'expérience poétique, malgré sa brièveté, marquera profondément le jeune Vailland qui participa à la rédaction des deux premiers numéros de la revue. Le groupe, auquel appartiennent Roger Gilbert-Lecomte, René Daumal et René Maublanc, aspire à « la révolution par la poésie », cette voie royale ; mais la volonté de préserver son indépendance le maintient en marge des surréalistes. En 1928, Vailland entre à Paris-Midi comme pigiste ; un article sur le préfet de police Chiappe lui vaut d'être « exclu » par les surréalistes. Il tourne alors le dos à la littérature : drogue, amours, dépressions, ennui, travaux « alimentaires ». La décision en 1942 de participer à la Résistance ouvre une nouvelle saison dans la vie de Vailland. C'est après avoir perdu le contact avec son réseau qu'il commence la rédaction de Drôle de jeu. En 1945, il est correspondant de guerre pour le journal Libération. Journaliste, il continuera jusqu'à sa mort à publier récits de voyages (Boroboudour, 1951) et reportages. En 1952, il s'inscrit au Parti communiste. Depuis longtemps compagnon de route du parti, il devient un stalinien convaincu, désarmant les communistes de la Résistance (ils se méfiaient de ce « libertin » qui avait au surplus travaillé pour les réseaux gaullistes). Il écrit une pièce consacrée à la guerre de Corée, Le colonel Foster plaidera coupable, qui est interdite en France (1952). Les révélations du XXe congrès du P.C.U.S. l'atteignent en plein cœur : don Césare, héros de La Loi (prix Goncourt 1957) exprime le désenchantement de Vailland qui, désormais, ne se départira plus de son attitude de « spectateur ».
Brillant essayiste et reporter, c'est néanmoins dans le roman que Vailland écrivain a donné toute sa mesure. Quel qu'en soit le sujet, combat singulier de deux êtres au soir de leur passion (Les Mauvais Coups, 1948) ou affirmation de l'ouvrière à l'âme bien faite, au cours d'une grève (Beau Masque, 1954), l'attitude du héros, engagée-désengagée, ramène le lecteur au romancier lui-même. Cette éthique romanesque définit un auteur « classique », proche parent par l'architecture et le style des prosateurs français du xviie et du xviiie siècle (Retz, Laclos, Chamfort). Représentation et en même temps conjuration des conflits, d'ordre « individuel » ou socio-historique, portés par l'écrivain, l'œuvre de[...]
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Écrit par
- Jean-Claude KLEIN : diplômé de l'École pratique des hautes études, chargé de cours à l'U.F.R. de musique et musicologie de l'université de Paris-IV-Sorbonne
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