ROI DIVIN, anthropologie
Nombreux sont les auteurs qui, aujourd'hui, n'emploient plus l'expression « roi divin » qu'en la mettant entre guillemets : précaution qui indique qu'ils ont quelques doutes sur la valeur de son usage.
Frazer est, semble-t-il, le premier à avoir parlé de « roi divin ». Dans l'édition de 1890 de son magistral ouvrage The Golden Bough (Le Rameau d'or), il désigne ainsi les chefs qui, dans un premier stade de l'évolution de l'humanité, passent pour détenir un pouvoir sur la nature et doivent mourir lorsque leur condition physique ne leur permet plus de remplir leur fonction. En trois quarts de siècle, on s'est sensiblement écarté de l'usage de Frazer : si l'on s'en tient au seul traitement des matériaux africains, exemplaires on le verra, on s'aperçoit que se trouvent qualifiés de rois divins des personnages aussi différents que les faiseurs de pluie des groupes de pasteurs du Soudan, les rois du Bénin au Nigeria ou l'Aga Khān, chef de la secte ismaélienne dont quelques milliers de membres vivent en Afrique orientale. L'historien et anthropologue J. Vansina n'hésite pas à appliquer l'expression à tous les monarques africains, qui, selon lui, présentent ces mêmes caractéristiques idéologiques.
Une telle extension du champ sémantique conduit à s'interroger sur la nature des faits dénotés par l'expression, sur l'histoire de son emploi et son utilité. C'est à partir de l'œuvre de Frazer qu'il faut chercher des réponses à ces questions.
La construction de Frazer
Frazer, qui distingue radicalement la magie de la religion (Le Roi magicien, I), fait d'abord passer l'humanité par un âge de la magie ; plus tard, après avoir découvert la fausseté intrinsèque de la magie, les hommes sont conduits à la pratique de la religion, en tentant de se concilier les puissances supérieures.
Au premier stade de son évolution, l'homme se croit en mesure d'agir sur la nature. De telles certitudes sont encore sous-jacentes aux obligations auxquelles sont soumis les chefs de certains royaumes, qui doivent s'unir sexuellement à une de leurs épouses pour stimuler la croissance de la végétation ; les fêtes de printemps et d'été de l'Europe ne seraient d'ailleurs que des traces lointaines de pareilles croyances (Le Roi magicien, II).
Dans l es sociétés où de tels pouvoirs sont attribués aux hommes, ceux qui en possèdent le plus ont vocation au commandement. Tout en écartant l'idée que la magie aurait été l'unique voie d'accès au pouvoir, Frazer n'en écrit pas moins : « Ceux qui pratiquent cet art [la magie] doivent être des personnages d'importance et de grande influence dans toute société qui ajoute foi à leurs prétentions [...] ; de fait, les magiciens, semble-t-il, sont souvent devenus des chefs et des rois. »
Corrélative à de telles croyances, l'obligation s'est imposée de protéger les détenteurs d'un pouvoir réglant le cours de la nature et assurant l'existence du groupe. Cela s'est traduit dans la multiplicité des rites qui entourent la vie du souverain. Chez les Turcs, on purifie les ambassadeurs en les faisant passer à travers les flammes avant qu'ils ne soient admis en présence du sultan ; en Afrique, le roi de Loango ne peut être vu en train de boire ou de manger ni par les hommes, ni par les animaux, sous peine de mort pour eux ; les Indiens Muyscas de Colombie tournent le dos à leur chef lorsqu'ils doivent lui parler.
Ces interdictions et obligations, si diverses soient-elles, servent, pour Frazer, la même fin : « La personne divine est une source de danger autant que de bénédictions ; il ne faut pas seulement la défendre, il faut s'en défendre. Son organisme sacré, si délicat qu'un rien peut le déranger, est aussi, pour ainsi[...]
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Écrit par
- Claude TARDITS : président de l'École pratique des hautes études, directeur d'études à la section des sciences religieuses
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