ROI DIVIN, anthropologie
L'Afrique, terre des « rois divins »
Les exemples africains cités par Frazer ne sont pas plus nombreux que ceux qu'il tire de l'histoire de l'Antiquité ou de celle des peuples européens, mais ils retiennent l'attention pour deux raisons. Ils illustrent un moment crucial de l'évolution : dans les sociétés africaines, « où, dit Frazer, la dignité de chef et de roi atteint son plein développement, les épreuves sont relativement abondantes pour montrer le passage du magicien et plus particulièrement du faiseur de pluie au rang de chef » (Le Roi magicien, I). Ils ont, de plus, l'avantage de provenir de sociétés vivantes et les analyses qu'en présente l'auteur du Rameau d'or ne reposent pas sur de fragiles reconstitutions historiques : c'est ainsi que le roi des Shillouk, le reth, sera un cas exemplaire de roi divin.
Par la suite, ce sont les études des sociétés africaines qui raviveront l'intérêt porté aux thèses de Frazer, par ailleurs mises en question ou ignorées.
Dans la première moitié du xixe siècle, l'intérêt des africanistes pour la royauté divine est venu du rôle attribué à l'Égypte dans l'histoire du passé africain. Pour Seligman, la présence de rois divins en Afrique orientale s'explique par les migrations des populations dites hamitiques, apparentées aux occupants de l'Égypte prédynastique. Pour C. K. Meek, qui consacre une importante étude au royaume jukun situé dans la vallée de la Bénoué, au Nigeria, les similitudes entre les institutions monarchiques des jukun et celle de l'Égypte pharaonique sont la preuve de l'extension des influences égyptiennes dans l'ouest de l'Afrique.
Le roi jukun est, selon Meek, « l'image terrestre de la pluralité des dieux ; il aurait peut-être autrefois été identifié avec le Soleil et la Lune ». Détenteur de pouvoirs sur les vents, la pluie, tenu d'assurer de bonnes récoltes – la population l'appelle « notre mil » –, il était mis à mort en cas de catastrophes naturelles ; son règne ne durait que sept ans, après quoi il était étranglé. Une cérémonie, brièvement évoquée par Meek, qui n'hésite pas à la lier à la fête du Sed des anciens Égyptiens (H. Frankfort, Kingship and the Gods), aurait été exécutée dans le passé pour revigorer le monarque et reculer l'échéance mortelle.
Les caractères reconnus à la monarchie jukun sont étendus de proche en proche aux populations du Nigeria, entre lesquelles des liens de filiation sont attestés. Plusieurs auteurs se contentèrent de similitudes entre rituels d'intronisation, d'analogies entre les statuts royaux et les étiquettes des palais pour affirmer la divinité des chefs des sociétés dont ils traitent.
E. Meyerowitz a même dressé (dans son ouvrage The Divine Kingship in Ghana and Ancient Egypt) un parallèle entre la royauté divine des Akan de l'actuel Ghana et celle de l'Égypte ancienne, mettant les premiers en relation avec la terre des pharaons par des migrations tout à fait hypothétiques.
Les critères retenus par Seligman sont en partie négligés dans les textes relatifs à l'Afrique occidentale, car il n'y a de mort rituelle ni chez les Igala (cf. Clifford), ni dans les royaumes yorouba (cf. Lloyd), ni au Bénin, ni chez les Rukuba du plateau central du Nigeria étudiés récemment, où l'on note toutefois un meurtre du roi par substitution (cf. Muller).
Cet élargissement de l'aire d'extension des rois divins en Afrique occidentale a surtout été le fait d'africanistes attachés à relever des parallèles entre l'ancienne Égypte et les royaumes de l'Afrique subsaharienne. Les étiquettes attribuées par des spécialistes occasionnels l'ont souvent été sans rigueur, mais ceux-ci ont contribué à faire du continent africain, au moins apparemment, une terre d'élection de la royauté divine.[...]
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Écrit par
- Claude TARDITS : président de l'École pratique des hautes études, directeur d'études à la section des sciences religieuses
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