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ROI DIVIN, anthropologie

Un débat sur le régicide

La définition de Seligman semblait permettre d'identifier aisément les rois divins : il suffisait de s'assurer de la présence, dans une société, des traits retenus par cet auteur.

Un seul débat s'est ouvert, mettant en question le caractère de la mort infligée à un souverain précisément tenu pour un bon exemple de roi divin. Dans la « Frazer Lecture » de 1948, Evans-Pritchard, reprenant les matériaux shillouk, conclut que la mise à mort rituelle du souverain est probablement une fiction : si l'élimination brutale du monarque ne peut être contestée, il est raisonnable de l'attribuer aux rivalités politiques.

Les traditions concernant la mort du chef shillouk doivent être examinées dans le contexte social. Le royaume est constitué par des patrilignages répartis sur les moitiés nord et sud du pays, qui s'opposent. Cette organisation, lâche et segmentaire, dominée par l'institution monarchique qui en symbolise l'unité, permet aux compétitions pour le pouvoir de se faire jour et aux princes de trouver des appuis suffisants pour conduire une rébellion lorsque la population est mécontente.

Si une partie des récits concernant la mort du roi parlent de souverain étranglé, étouffé ou emmuré, d'autres indiquent qu'un prince peut provoquer le roi au combat sans que ce dernier puisse demander assistance. Un opposant, sûr du soutien d'une fraction du pays, peut ainsi l'emporter et succéder au monarque abattu. Pour Evans-Pritchard, ces traditions rendent compte de façon appropriée de la mort du reth.

Quant à la référence à la mort rituelle, elle n'est qu'une façon d'affirmer la valeur mystique de la royauté. Chez les Shillouk, le roi est en effet l'incarnation du fondateur du pays, Nyikang, dont tout procède : « Ce n'est pas l'individu régnant à un quelconque moment qui est roi, mais Nyikang, intermédiaire entre l'homme et dieu », déclare Evans-Pritchard. L'incarnation de Nyikang dans la personne royale fait de la royauté le garant et le symbole de l'unité du pays et l'élimination d'un roi affaibli permet de préserver l'institution monarchique. C'est, conclut l'auteur, moins le roi qui est divin que la royauté. La logique des conceptions religieuses de Frazer fait place à une interprétation sociologique des faits. Faute de meurtre rituel, que devient alors la divinité du roi ? Celle de la royauté lui est substituée.

Autant l'interprétation politique de la mort du reth fondée sur une tradition est recevable, autant le reste de l'analyse d'Evans-Pritchard paraît spécieux. L'argumentation est sans contrepartie dans l'idéologie des Shillouk, et l'on peut, contre cet auteur, prétendre que la tradition légitimant le meurtre du roi régnant par un prince plus vigoureux fait du personnage royal lui-même le pivot de l'institution politique.

On peut, par métaphore, passer du roi divin à la royauté divine ; mais inverser le sens de la figure est un artifice, qui rappelle de façon banale que les régimes politiques sont attachés à la stabilité des institutions.

Evans-Pritchard sema le doute dans les esprits, mais il ne reçut de réponse véritable que près de vingt ans plus tard. Dans un article de la revue Africa (1966) consacré à la royauté divine chez les Jukun, M. Young rappelle que la tradition politique retenue par Evans-Pritchard pour rendre compte de la mort du reth n'est pas mieux prouvée que l'autre : l'organisation de la société la rend plus plausible. Chez les Jukun, le poids des congruences étant inversé en faveur des croyances religieuses, Young opte pour une interprétation rituelle de la mort de leur chef. Il n'y a, chez les Jukun, aucune trace de rébellion venue de la campagne ; l'entourage du roi, qui décide de son élimination, ne peut y trouver avantage, car il est[...]

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Écrit par

  • : président de l'École pratique des hautes études, directeur d'études à la section des sciences religieuses

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