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ROI DIVIN, anthropologie

L'usage du modèle et ses principes

On peut se demander si le choix de Richards est fondé, ne serait-ce qu'en raison de la nature des sollicitations religieuses qui visent le bien-être de la population. L'existence, chez les souverains, d'une double source de pouvoirs, l'une constituée par la détention de forces personnelles ou de moyens magiques, l'autre par un recours aux ancêtres et aux dieux, pose un problème : quelle part chacune de ces sources a-t-elle, en effet, dans la prospérité du pays ? La magie même ne paraît-elle pas impuissante sans la pratique sacrificielle ? On se demande si, dans les cas considérés, on n'a pas forcé l'usage du modèle frazérien en ne retenant que les faits correspondant aux critères précisés par Seligman ? Ces difficultés relatives à l'usage du modèle de Frazer ne conduisent-elles pas à une mise en cause de la conception de celui-ci ?

La définition élaborée par Frazer du roi divin repose sur deux propositions : une opposition magie/religion et une conjonction homme/dieu. L'auteur du Rameau d'or s'est fondé, pour cela, sur des séquences historiques qu'il croyait pouvoir dégager des faits à sa disposition, et qui l'ont conduit à sa conception de l'homme-dieu. Le modèle est, pourrait-on dire, marqué, si ce n'est vicié, au départ par des catégories liées à un ordre historique dont l'artificialité est manifeste.

On conçoit, dès lors, qu'il soit difficile de rencontrer, dans les sociétés africaines, des figures répondant à une conjonction homme-dieu ou roi-dieu. Rien ne permet d'assimiler la reine des Lovedu à ses ancêtres morts ; comment, en effet, se confondrait-elle avec des éléments qu'elle sollicite ? La situation nyoro est plus complexe encore, puisque, entre les ancêtres et le dieu suprême se situent les Bachwezi, consultés et propitiés au nom du roi. Aucune réduction entre les hommes et les dieux ne peut être faite au sein d'un système de croyances à partir de critères extérieurs, et il appartient à chaque société de dire si elle trace ou non une limite entre les hommes vivants, les morts et la divinité.

Le statut royal, si singulier soit-il, n'abolit pas les classifications implicites ou explicites des croyances d'un peuple. L'identification d'un souverain régnant avec ses prédécesseurs, à la suite de la transmission de composantes de la personne de chacun de ceux-ci, ne supprime pas pour autant la différence entre les vivants et les morts : elle marque la continuité du pouvoir, confère au chef désigné les éléments de son charisme, hausse celui-ci au-dessus du reste de la communauté, mais il ne prendra qu'après sa mort place parmi les ancêtres qu'il sollicite. Cela se lit clairement dans le rôle religieux du souverain. On ne peut davantage prendre à la lettre le langage des cours et la rhétorique des adresses au roi – selon lesquels il est tour à tour une plante, un animal, un éternel vainqueur, un dieu – sans être familiarisé avec les procédés du discours du lieu. L'expérience montre qu'il existe une image du souverain qui est élaborée pour le public et qui a une fonction politique et une image privée qui appartient à son entourage et à ses femmes.

Le statut royal institue, au sein de la société des vivants, une différence, qui permet à l'ordre politique de fonctionner. On ne peut, sans qu'il y ait d'indication en ce sens, abolir la différence entre les rois et les dieux – ceux-ci ne seraient-ils que des ancêtres du moment que les chefs politiques ont précisément leurs recours dans ces dieux.

On peut souligner que quelques rares auteurs ont fait un usage raisonné de l'expression « roi divin » lorsque, en lui conservant le sens défini par Seligman, ils s'en sont servi pour qualifier les souverains dont ils s'occupaient. Mais[...]

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Écrit par

  • : président de l'École pratique des hautes études, directeur d'études à la section des sciences religieuses

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