ROLAND BARTHES PAR ROLAND BARTHES, Roland Barthes Fiche de lecture
Publié en 1975, Roland Barthes par Roland Barthes doit son origine à l'idée d'un éditeur. Lorsque Denis Roche prend la direction, au Seuil, des Écrivains de toujours, vénérable collection riche de près d'une centaine d'ouvrages présentant les grandes figures littéraires du passé, son objectif est de l'ouvrir à la création contemporaine. C'est dans cet esprit qu'il propose à Barthes (1915-1980), auteur d'un Michelet (1954) dans cette même collection, d'y écrire un volume consacré... à lui-même.
Cette invitation tient un peu du canular. Directeur de recherches à l'École pratique des hautes études, bientôt professeur au Collège de France, auteur d'une douzaine de livres savants, Barthes apparaît alors davantage comme un pur théoricien, soucieux de rigueur scientifique, nourri de marxisme, de linguistique et de structuralisme, que comme un champion de la subjectivité. Pourtant, son parcours est en train d'évoluer. Le Plaisir du texte, en 1973, a commencé à conjuguer le savoir et la saveur, l'hédonisme et la scientificité, et surtout à faire entrer la première personne dans le discours. Aussi, Roland Barthes par Roland Barthes, commande d'éditeur apparemment farfelue, coïncide-t-il en fait très exactement avec les aspirations nouvelles de l'auteur.
« Je est un autre »
À sa sortie, le livre est vu comme un exercice ludique et une sorte de gag. Ce qui frappe d'abord le lecteur, c'est son aspect de pastiche. Des Écrivains de toujours, en effet, il copie la présentation, le format et surtout la forte présence de l'iconographie, dotée d'une valeur informative égale à celle du texte. C'est sur un petit album de photographies, assorties de commentaires, que s'ouvre l'ouvrage. Photos de la mère d'abord, Henriette née Binger, prise à Biscarosse en 1932, qui apparaît dès la deuxième page ; puis du père, Louis, officier de marine mort en 1916 dans un combat naval, des aïeux, des maisons et des jardins d'enfance, des rues de Bayonne avant-guerre et des rives de l'Adour ; enfin celles de l'auteur lui-même, dans ses divers avatars, du nourrisson sur les genoux maternels à l'intellectuel intervenant dans un colloque.
Cette introduction en images peut laisser penser que le livre sera tout entier voué à l'évocation nostalgique du passé. En fait, dès que le texte commence, cette dimension exclusivement rétrospective disparaît. Roland Barthes par Roland Barthes, en effet, n'est pas une autobiographie, c'est un roman, mais un roman dont on aurait supprimé l'intrigue, le décor et les personnages – à l'exception du narrateur – pour n'en garder que la quintessence : ce que Barthes nomme le « romanesque », soit « un mode de notation, d'investissement, d'intérêt au réel quotidien, aux personnes, à tout ce qui se passe dans la vie ».
C'est ainsi que celui qui dit « je » n'est pas Barthes ou du moins ne l'est qu'en partie (l'auteur se désigne d'ailleurs par d'autres pronoms, le « il » ou le « vous », ou par ses initiales R.B.). C'est un personnage de fiction qui s'étonne, s'interroge, commente, critique, définit, se souvient, analyse ou juge, tout au long d'un monologue intérieur ou d'un journal intime traversé de rêveries et d'obsessions. « L'effort vital de ce livre est de mettre en scène un imaginaire », dit Barthes. Celui-ci explorera plus tard l'imaginaire de l'amour (Fragments d'un discours amoureux, 1977) et celui du deuil (La Chambre claire, 1980), mais c'est ici l'imaginaire de l'intellect qui fait l'objet de ses investigations au gré de quelques thèmes dominants : le langage, l'écriture, l'idéologie, le politique, l'inconscient mais aussi le corps, le désir, la sensualité ou la répulsion.[...]
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Écrit par
- Philippe DULAC : agrégé de lettres modernes, ancien élève de l'École normale supérieure
Classification
Média
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