LASSUS ROLAND DE (1532 env.-1594)
L'homme et le style
Lassus a laissé une abondante correspondance qui permet, avec les témoignages de ses contemporains, de se faire une idée de ce qu'était l'homme. D'une tristesse maladive, il réagissait par une gaieté forcenée, des plaisanteries grossières, une truculence rabelaisienne. Ce musicien de génie était miné depuis son enfance par un état d'angoisse secrète et, paradoxalement, il affichait fréquemment une extravagance facétieuse. Ses lettres sont souvent écrites dans un jargon où se mêlent divers idiomes ; il joue avec les assonances, les rimes les plus folles, les associations d'idées saugrenues : un vrai délire verbal. « Je suis quasi pour devenir un monsieur fou », dit-il lui-même un jour. « Un spécialiste de la médecine mentale, écrit André Pirro, trouverait dans les lettres de Lassus assez de preuves pour en placer l'auteur dans une catégorie d'aliénés déterminée. » La frontière entre le génie et la folie n'est point toujours bien nette. Prodigieux par sa fécondité, il le fut plus encore par son aptitude à assimiler toutes les cultures et son inlassable curiosité de toutes les nouveautés dont il savait tirer profit (le chromatisme de certains madrigalistes italiens – Vicentino ou Marenzio, par exemple – ou les théories de la « musique mesurée à l'antique » de l'académie d'Antoine de Baïf). « Il est, écrit N. Bridgman, le musicien qui représente avec le plus de vérité l'homme de la Renaissance... »
Lassus a puissamment contribué à assouplir la rigidité du traditionnel contrepoint franco-flamand. Le style en « imitation continue » va, sous sa plume, s'alléger, s'aérer et tenir compte, sous l'influence des madrigalistes italiens, du contenu expressif des textes, sacrés ou profanes. Un humaniste flamand, qui fréquentait la cour bavaroise, Samuel Quickelberg, parle à son propos de musica reservata. Le terme est obscur ; il fut employé pour la première fois, semble-t-il, en 1552 par Adrianus Petit Coclicus, disciple de Josquin des Prés. D'aucuns pensent qu'il s'applique à une musique exprimant avec force les symboles du texte qu'elle illustre ; d'autres l'emploient à propos du chromatisme venu d'Italie ; il en est qui lui attribuent une signification sociologique : la « musica reservata » serait destinée à des connaisseurs, par opposition à la musique ordinaire, celle que même des oreilles incultes (vulgari orecchie) peuvent comprendre. Il y a probablement un peu de tout cela dans cette expression ésotérique.
La musique de Roland de Lassus témoigne d'une haute culture ; comparée à celle de ses prédécesseurs, elle fait apparaître une facture plus forte, une déclamation plus énergique, un maniement plus souple du contrepoint, une alternance de passages en imitation avec d'autres, sinon homophones, du moins en écriture verticale, alternance commandée par la signification des textes. Enfin, il use de dissonances dues à des retards savamment ménagés pour exprimer des émotions. Face à l'idéal de pureté formelle d'un Palestrina, le style de Lassus paraît plus complexe, plus varié, au service d'une pensée plus profonde.
Les motets
Les motets tiennent une place prépondérante dans l'œuvre de Lassus. Une faible partie d'entre eux seulement se rattache à la liturgie (antiennes à la Vierge, offertoires...). Le « divin Orlande » (le mot est de Ronsard) a élargi le choix des textes, puisant dans les Saintes Écritures tout ce qui pouvait stimuler son imagination. Il est davantage attiré vers les sujets dramatiques, ceux qui correspondent à son inquiétude secrète, à sa hantise du destin et de la mort. La technique utilisée est celle de l'imitation libre – parce que Lassus rompt l'équilibre quand il le juge nécessaire –, il évite les développements trop prévisibles. Sa ligne mélodique[...]
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Écrit par
- Roger BLANCHARD : musicologue
Classification
Média
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