ROLLING STONES
Sexe, drogues, dollars (et rock'n'roll)
Mick Jagger devient l'archétype de la bête de scène. Aucun rocker ne sait comme lui occuper avec tant d'art et de science l'espace scénique, avec une telle énergie animale et raffinée qui le distingue radicalement des contorsionnistes rudimentaires éclos au début des années 1960. Ses bonds, entrechats et galopades, ses masques, mines et moues, l'extrême modulation de sa voix agressive et caressante, hystériquement suraiguë ou menaçante dans les graves : tout fait de lui une sorte de « neveu de Rameau » électrique, seulement habité par le théâtre et la musique. Hors de scène, Jagger sait aussi se composer le personnage du loulou ou du dandy, du patron d'entreprise ou du jouisseur décadent, de l'amant des mannequins ou de la folle mondaine exaspérante. De Keith Richards, Marianne Faithfull dira qu'il incarnait la jeunesse damnée, le romantisme noir. Sa consommation d'héroïne et de cocaïne est légendaire, tout comme son sens inné du groove, des riffs tranchants et des solos inspirés. Les concerts se déroulent souvent sur le fil du rasoir, car Jagger ne peut jamais être certain que son compère sait exactement où il est ni ce qu'il a à faire. C'est un lourd contresens de considérer que le bassiste Bill Wyman ou le batteur Charlie Watts ne seraient que des comparses : qu'aurait été le groupe sans la rythmique puissante et obsédante du premier ou la frappe juste et sèche du second, indispensables à l'univers sonore légendaire des Stones ? Univers puissant, dans lequel s'intègrent des instruments plus inattendus (violons, tambourins...), les pianos de Nicky Hopkins ou de Ian Stewart (qui est aussi le régisseur des Stones), les arrangements de Jack Nitzsche ou la technique de l'ingénieur du son Dave Hassinger. Tous célèbrent et déclinent les variations de la formule « sex, drugs and rock'n'roll ». Concerts hystériques, magnifiques albums (Between the Buttons, 1967) : la fête bat son plein. Mais les drogues dures font la loi, la police cherche noise, Brian Jones s'autodétruit et n'est plus qu'un boulet à traîner. La qualité musicale s'en ressent (TheirSatanicMajestiesRequest, 1967) et le hippisme de façade n'est pas convaincant. Le renouveau vient avec le 45-tours Jumpin' Jack Flash en 1968. Un film très sous-estimé de Jean-Luc Godard, One Plus One (1968), retrace l'élaboration et l'enregistrement du morceau Sympathy For The Devil, repris, tout comme Street Fighting Man, dans l'album Beggars Banquet (1968), l'apogée d'une attitude contestataire servie par la violence du blues. Quand Brian Jones meurt le 3 juillet 1969, il a déjà été expulsé du groupe. Il est remplacé par Mick Taylor (Michael Kevin Taylor, né le 17 janvier 1949 à Welwyn Garden City, Hertfordshire), auquel succédera en 1974 Ron Wood (Ronald Wood, né le 1er juin 1947 à Londres), ex-guitariste des Faces. Les Stones donnent à Hyde Park un concert à la mémoire du disparu, Jagger lit un poème de Shelley et fait s'envoler des milliers de papillons ; le morceau You Can't Always GetWhat You Want, dédié à Brian, rejoint sur l'album Let It Bleed (1969) d'autres chefs-d'œuvre, comme Gimmie Shelter ou MidnightRambler. Le lourd climat des albums, l'esthétique décadente de leurs couvertures trouvent un prolongement dans l'issue tragique du concert donné à Altamont, près de San Francisco, à la fin de la tournée américaine de 1969, quand un Hell's Angel assassine un jeune Noir.
Dès le début des années 1970, le groupe vit dans les contradictions les plus aberrantes, mais finalement fécondes. Le documentaire Cocksucker Blues, de Robert Frank et Danny Seymour (1972), réalisé aux États-Unis lors de la tournée pour la promotion du double album Exile on Main Street, donne[...]
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Écrit par
- Michel P. SCHMITT : professeur émérite de littérature française
Classification
Médias
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