ROLLINS THEODORE WALTER dit SONNY (1929- )
Doutes et sommets
L'attraction croissante qu'exerce un John Coltrane souverain et aventureux ébranle les fondements de l'espace esthétique de Sonny Rollins et fissure les certitudes sur lesquelles il a construit sa personnalité. S'ouvre pour lui une longue période de doute, de silence, de quête solitaire, qui s'étend de l'été de 1959 à la fin de 1961. Les passants peuvent alors entendre, sous le pont de Williamsburg de New York, le grand musicien mêler incognito le chant de son ténor au cri des mouettes et à l'appel rauque des sirènes des navires. Il revient avec éclat sur le devant de la scène en 1962 avec une série de trois albums illustres : The Bridge, dans lequel s'exprime, sous l'impulsion du guitariste Jim Hall, une sérénité retrouvée, What's New ?, qui balance entre humour et avant-garde, et enfin Our Man In Jazz, peuplé d'anciens compagnons d'Ornette Coleman – Don Cherry, Bob Cranshaw, Billy Higgins – dont les audacieux commentaires encouragent sa fougue zigzaguante. Au sommet de son art, il triomphe en 1963 à Paris – à la salle Pleyel et à l'Olympia – et au festival de Newport ; il multiplie les tournées européennes, en France, en Allemagne, en Autriche, en Scandinavie (1965-1966). Sa production discographique atteint un second apogée avec des enregistrements qui sont entrés dans l'histoire : Sonny Meets Hawk!, avec Coleman Hawkins, Paul Bley, Henry Grimes, Bob Cranshaw, Roy McCurdy (1963), Now's the Time, avec Herbie Hancock, Ron Carter, Roy McCurdy, Bob Cranshaw et Thad Jones (1964), Sonny Rollins On Impulse !, avec Ray Bryant, Walter Booker et Mickey Roker (1965), East Broadway Run Down, avec Elvin Jones, Freddie Hubbard et Jimmy Garrison (1966).
En pleine possession de ses moyens techniques et musicaux, Sonny Rollins s'enferme une seconde fois dans la solitude et cesse de se produire (1968-1971). Désormais, périodes de retraite et retours sur scène vont régulièrement alterner. On peut l'applaudir au festival de jazz de Montreux en 1974, à San Francisco en 1978. Il est sollicité par les Rolling Stones (Tattoo You, enregistré à Los Angeles en 1980) et le guitariste électrique Pat Metheny (Dream Teams, 1983). Dans les studios, il enregistre avec Tony Williams (Easy Living, 1977), McCoy Tyner (Milestone Jazzstars, 1978), Stanley Clarke (Love At First Sight, 1980), Jack DeJohnette (Reel Life, 1982) et il retrouve Tommy Flanagan (Silver City, 1995)... Robert Mugge lui consacre en 1986 un documentaire fort pertinemment intitulé Saxophone Colossus. En 2006, le jazzman sort sur son propre label, Doxy Records, l’album Sonny, Please.
Quels que soient les tours et détours d'un parcours agité par des tendances esthétiques opposées, la personnalité de Sonny Rollins a la solidité d'un bloc de granit. La fermeté du phrasé, la puissance d'une sonorité dense et volumineuse héritée de Coleman Hawkins, la robustesse de ses constructions musicales, un style âpre, viril, dépourvu de toute trace de sentimentalité signalent dans tous les univers l'évidence de son propre génie. Ne pouvant rivaliser avec la volubilité aérienne d'un Charlie Parker, il s'exprime avec la même liberté dans d'intrépides improvisations qui jouent plus sur les développements harmoniques que sur les joliesses mélodiques. Sonny Rollins vit avec intensité l'instant présent. À une joie contagieuse toute emplie des saveurs et de rythmes caraïbes peuvent succéder sans transition un débit haché, de brutales cassures, des articulations torturées qui l'amènent aux portes du cri et de l'expressionnisme.
Sonny Rollins a pu suivre les véhémences coltraniennes et les flambées de révolte du free jazz sans jamais véritablement abandonner la solidité des structures traditionnelles. Dans des introductions souvent étirées à l'extrême, un lyrisme empreint de gravité[...]
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Écrit par
- Pierre BRETON : musicographe
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Autres références
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TYNER MCCOY (1938-2020)
- Écrit par Pierre BRETON
- 1 065 mots
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...(violon) et anime un quintette où s’expriment Jackie McLean (saxophone alto) et Jon Faddis (trompette). En 1978, il entreprend une tournée All Stars avec Sonny Rollins, Ron Carter et Al Foster. En mémoire de John Coltrane, à l’occasion des vingt ans de sa disparition, il se produit en 1987 dans de nombreux...