GARY ROMAIN (1914-1980)
Un romancier de l'humanisme
L'œuvre de Romain Gary s'inscrit sous le signe d'une double révolte : contre le dogmatisme totalitaire qui, du nazisme au stalinisme, lui paraît désacraliser la vie et réveiller l'inhumanité qui germe en chacun ; contre la trop forte emprise du réel et des « lois de la nature », qui confine l'homme dans une représentation matérialiste et le soumet au poids de l'inexorable (L'Angoisse du roi Salomon). Devant ces forces hostiles et l'angoisse qu'elles génèrent en lui, Gary invente des stratégies de contournement : la création, la fiction de l'amour, la dérision et le rire permettent de revendiquer le pouvoir de l'esprit pour réenchanter le monde, répondre au réel par le burlesque à travers la figure du saltimbanque et dénoncer les dérives d'une idéologie (Les Enchanteurs, 1973). Il élabore ainsi une mythologie humaniste fondée sur l'imaginaire pour réaffirmer par la culture et l'art le principe de dignité : avec des accents parfois messianiques, elle prend acte d'un inachèvement de l'homme, mais se propose d'œuvrer à son avènement et à son émancipation pour ne pas céder au désespoir. Néanmoins, il ne s'agit pas d'oublier non plus. Pour ce rescapé de la Seconde Guerre mondiale, l'écriture se construit dans la conscience d'une survivance et s'impose, dès le premier roman, un devoir de mémoire : témoigner de l'esprit de Résistance, rappeler l'humanité des hommes, autant que rappeler les hommes à leur humanité.
Au cœur du projet de Romain Gary, cette passion pour l'humain conduit ses personnages à aménager des refuges à la lisière du réel : des réserves pour la protection des éléphants (Les Racines du ciel) au chalet isolé de Bug Moran (Adieu Gary Cooper, 1969) ou aux cerfs-volants de l'oncle Fleury (Les Cerfs-volants), ces « marges humaines » compensent les désillusions du réel et préviennent contre la tentation de l'absolu tout en laissant une place pour espérer ou se nourrir de rêves. Elles déterminent aussi, de manière plus active, un mode d'être au monde qui privilégie les fluctuations de l'à-peu-près et se défie de tout ce qui restreint les possibles ou contraint les errances de l'imaginaire. Hanté par les figures de la clôture, attaché à l'espoir d'un éternel recommencement, Romain Gary fait tout pour ne pas figer la représentation du monde ou l'image de soi dans la logique du « une fois pour toutes ».
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Écrit par
- Nicolas GELAS : professeur de lettres modernes
Classification
Média
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