ROMAN D'AVENTURES
Une morale paradoxale
Les romans d’aventures expriment des valeurs qui s’apparentent à celles de la société bourgeoise : l’énergie, la ténacité, la foi et, surtout, le travail et le savoir. En cela, les « robinsonnades » sont éclairantes : sur le modèle du Robinson de Daniel Defoe, les héros naufragés sur une île reconstruisent grâce à ces seules vertus la civilisation qu’ils ont perdue. Cela peut s’accompagner d’une célébration de la religion, ainsi lorsque Robinson Crusoé convertit Vendredi au christianisme. Cela peut se traduire, d’une façon plus laïque, par l’exaltation d’une morale de la connaissance et de l’effort, à l’image des héros de L’Île mystérieuse (1874) sauvés par le travail de tous ainsi que par la grande science de l’un d’entre eux, l’ingénieur Cyrus Smith.
Cette littérature ne valorise en aucun cas les aventures elles-mêmes. La figure du chercheur d’or en témoigne. Celle-ci connut, entre les ruées vers l’or de Californie et du Klondike, une remarquable publicité. Mû par une soif de l’or qui refuse d’être étanchée par un travail pénible mais se confie à la chance seule, le chercheur d’or est alors systématiquement critiqué. On lui oppose toutes les formes du travail honnête et l’idéal bourgeois d’une juste rétribution des efforts de chacun. De façon générale, l’aventurier reste un personnage méprisé. Partir au loin dans le seul but de chercher des aventures ou d’obtenir rapidement une fortune imméritée apparaît condamnable. Il faut d’ailleurs souligner à quel point, dans la logique très ancienne d’un Ulysse ou d’un Robinson, les héros de cette littérature sont toujours des héros du retour. Leur rêve reste tourné vers une terre natale dont on n’imagine pas qu’il puisse exister mieux ailleurs. Certes, le détour fait sens. Il est d’abord l’occasion, dans une perspective classique, de rapporter des connaissances objectives. Mais il est aussi le moyen, d’un point de vue romantique, de ressentir des sentiments et de vivre des aventures, qui dûment transformés en expérience, autoriseront le jeune homme ainsi « mûri », voire « trempé », pour reprendre des expressions de l’époque, à prendre sa place dans une société qui n’aura qu’à se louer de la formation ainsi accomplie. Les romans et les récits destinés à la jeunesse présentent du reste au lecteur des valeurs au nom desquelles on peut partir au loin (la patrie, la religion et la science) et opèrent ainsi un partage strict entre les héros, qui sont guidés par une mission et dont l’horizon est le sacrifice, et les aventuriers, mus par leur seul intérêt.
Ce modèle s’est sans doute complexifié, dans le dernier quart du xixe siècle, avec le développement de la propagande colonialiste. La chronologie est ici très fine. L’œuvre de Jules Verne, par exemple, ne se fait que tardivement l’écho de la montée du nationalisme qui caractérisa les années 1890. On a pu ainsi calculer que les nationalités les plus présentes dans les Voyages extraordinaires étaient la britannique et l’américaine – la française ne venant qu’en troisième position. Si l’œuvre de Verne, comme toutes celles du xixe siècle, postule la supériorité de la race blanche sur les autres, cela ne s’accompagne pas d’un appel à une colonisation spécifiquement française – même si le thème colonialiste, de façon générale, y trouve place. L’intrication du motif des aventures et de la propagande en faveur d’une colonisation française n’apparaît en réalité que chez les successeurs de Verne, à commencer par son épigone Paul d’Ivoi (auteur d’une série intitulée les Voyages excentriques à travers les mondes connus et inconnus, 1894-1914) et par le romancier le plus prolifique du Journal des voyages, Louis Boussenard. Néanmoins, même chez ces écrivains, l’appel à une nécessaire expatriation ne[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Sylvain VENAYRE : professeur d'histoire contemporaine à l'université Grenoble Alpes
Classification
Médias
Autres références
-
AIMARD GUSTAVE (1818-1883)
- Écrit par Jean-Paul MOURLON
- 110 mots
Romancier populaire français. De son véritable nom Olivier Gloux, Gustave Aimard est l'auteur de nombreux romans d'aventures. Les Trappeurs de l'Arkansas (1858) constitue le premier d'une longue série de livres dont l'Ouest américain est le cadre. Par là, Aimard se trouve être un précurseur...
-
ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Littérature
- Écrit par Elisabeth ANGEL-PEREZ , Jacques DARRAS , Jean GATTÉGNO , Vanessa GUIGNERY , Christine JORDIS , Ann LECERCLE et Mario PRAZ
- 28 170 mots
- 30 médias
...L'Île au trésor (Treasure Island), de R. L. Stevenson, annonce, onze ans après la première traduction de Jules Verne, l'apparition du roman d'aventures, donc d'une littérature pour adolescents, dont les frontières supérieures vont devenir indistinctes lorsque, par exemple, H. Rider... -
L'ASTRÉE, Honoré d'Urfé - Fiche de lecture
- Écrit par Christian BIET
- 1 511 mots
On a, de nos jours, trop tendance à négliger les grands romans des xvie et xviie siècles. On se fie à Cervantès pour repousser les romans de chevalerie, on croit sur parole les Scarron, Sorel et autres Furetière, qui parodient les auteurs d'Amadis, de L'Astrée et du Grand Cyrus, en...
-
AU BORD DE L'EAU (SHUI HU ZHUAN), anonyme - Fiche de lecture
- Écrit par Jean-François PÉPIN
- 793 mots
Au bord de l'eau, dont l'action se déroule au xiie siècle, met en scène cent huit brigands, qui ont coutume de se retrouver autour d'un lac leur servant de refuge. Plus que d'un roman suivi, il s'agit d'une succession d'épisodes plus ou moins indépendants, reliés entre eux par les retrouvailles... - Afficher les 39 références