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ROMAN D'ÉDUCATION ou ROMAN D'APPRENTISSAGE

L'ancienne épopée ou le roman de chevalerie racontaient par prédilection comment un héros prouvait à lui-même et au monde sa qualité de personnage héroïque ; c'étaient là les débuts du roman d'apprentissage ou d'éducation.

On a employé l'expression roman d'éducation (Bildungsroman), en référence à un archétype du genre, Les Années d'apprentissage de Wilhelm Meister, de Goethe, pour désigner tous les récits qui décrivent les péripéties que connaît un héros dans son apprentissage du monde et qui montrent les leçons qui en sont tirées. C'est déjà le thème commun à la plupart des récits romanesques du xviiie siècle, moment où ce genre prend son essor : on nous conte l'aventure d'un héros qui sort de l'adolescence et qui expérimente l'efficacité ou les limites de son pouvoir sur le monde : Gil Blas, Tom Jones, La Vie de Marianne, Le Paysan parvenu, Candide, L'Ingénu (et même La Nouvelle Héloïse) ne racontent pas autre chose, les uns mettant l'accent sur l'éducation sociale, d'autres sur l'éducation morale, sentimentale ou sexuelle (Sade). L'âge du héros est un élément secondaire : Don Quichotte est aussi un Bildungsroman. Au moment où le roman se constitue comme épopée de la bourgeoisie et comme épopée de l'individu, l'apprentissage du monde constitue le sujet par excellence du roman : Illusions perdues, Le Père Goriot, Le Rouge et le Noir (et Lamiel côté jeune fille), L'Éducation sentimentale (et aussi Bouvard et Pécuchet) sont, chacun à sa manière, des romans d'éducation. Ils s'inscrivent dans le droit fil de la tradition moraliste de la littérature française qui, de Montaigne à Flaubert, a cru à sa fonction didactique : il s'agit toujours de confronter idées, principes, valeurs et rêves aux contraintes qu'y oppose le réel.

L'enfant, personnage et sujet

Le xixe siècle voit se développer un type spécifique de roman d'éducation, celui qui a pour héros un enfant. L'enfant fut longtemps ignoré de la littérature qui n'en parlait tout simplement pas. Après Rousseau (Émile, Les Confessions), et avec le romantisme, on découvre son existence (sa psychologie, son langage) et souvent sa situation, identique à celle du héros romantique, d'être incompris, séparé – et trop souvent d'opprimé –, en même temps qu'on s'intéresse au rôle capital de l'enfance dans la structuration psychique de l'individu. Les orphelins de Dickens (David Copperfield, Oliver Twist) ont une postérité abondante en France (Hugo : Gavroche et Cosette des Misérables, 1862 ; Daudet : Le Petit Chose, 1868 ; Hector Malot : Sans famille, 1878 ; Vallès : L'Enfant, 1879 ; Jules Renard : Poil de carotte, 1894 ; Céline : Mort à crédit, 1936 ; etc. – nombre de ces textes étant fortement autobiographiques). À partir de ce personnage de l'enfant partant à la conquête de la vie et faisant dans les larmes l'apprentissage de la société s'élabore une revendication humaniste, sociale et « naturiste » : à des modes d'éducation humiliants, brutaux, étouffants (ou qui, moins pathétiquement, méconnaissent par trop le caractère enfantin), on oppose, sur un mode sarcastique, larmoyant ou indigné, la revendication d'une éducation conforme aux élans du cœur, de la justice sociale et de la nature. Écrits à l'eau de rose ou au vitriol, les romans d'éducation qui ont pour héros l'enfant brimé expriment souvent une vision sociale progressiste. Que l'on songe à Gorki (Enfance) ou à Romain Rolland (Jean-Christophe), ou encore à Roger Martin du Gard et au destin de Jacques Thibault.

Émile, J.-J. Rousseau - crédits : AKG-images

Émile, J.-J. Rousseau

<em>Les Misérables</em>, V. Hugo - crédits : Géo Dupuis/ musée Victor Hugo, Paris/ AKG Images

Les Misérables, V. Hugo

Si le récit d'une enfance (fictionnel ou autobiographique) est un genre qui continue à connaître adeptes et lecteurs (Hervé Bazin), les transformations[...]

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  • : professeur émérite de littérature française, université Lyon-II

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