ROMAN De Balzac au nouveau roman
Le roman de l'entre-deux-guerres
La littérature industrielle
Quand on parlait de crise du roman, vers 1900, c'était pour déplorer une mévente ou un marasme. En 1920, on se plaindrait plutôt de surproduction. Le succès du genre était lié à l'extension du public, c'est un phénomène économique et social autant qu'un phénomène littéraire. Il fallait à Zola quinze ou vingt ans pour vendre 150 000 exemplaires de L'Assommoir ; ses succès de vente étaient pourtant, à l'époque, une donnée nouvelle. Mais, vers 1930, Bernard Grasset pouvait dire : « L'ère des 100 000 est ouverte ! » Dès lors, l'éditeur tente sa chance avec des formules variées, tant il est difficile de prévoir l'accueil du public, et il lui reste à espérer le gros succès d'un de ses romans pour le dédommager de l'échec de tous les autres. Le développement des prix littéraires et de la publicité, l'organisation de plus en plus commerciale des maisons d'édition, l'apparition de la presse littéraire, tout cela crée un climat nouveau (n'oublions pas cependant que le succès de Bernanos, avec Sous le soleil de Satan, n'était dû qu'à trois ou quatre articles de bonne critique). Le succès des Nouvelles littéraires, dans les années vingt, est un phénomène significatif : chaque semaine, les interviews de F. Lefèvre donnaient la parole aux romanciers. Toute une surenchère s'installe dans les mœurs littéraires, et elle est liée à deux phénomènes : l'un, déjà dénoncé par Balzac dans Illusions perdues, c'est la commercialisation des produits de l'esprit ; l'autre, c'est l'entrée dans l'ère du vedettariat, et de ce côté-là, depuis 1920, les choses ne se sont pas améliorées.
La littérature romanesque n'est plus qu'un secteur privilégié dans une vaste industrie du roman. Si l'on s'en tient au « roman littéraire », on assiste à une sorte de dissolution des catégories esthétiques. Le roman prenait toutes les formes, et tout prenait la forme du roman. Il est devenu à la fois le genre Protée et le genre fourre-tout. Dans la production courante, l'évolution du genre n'est plus qu'une suite de modes qui, souvent, ne valent que pour une saison. Comment pourrait-on, sans arbitraire, opérer des classements ? Même le populisme, vers 1930, n'a guère réussi à regrouper une génération, il n'a été qu'une formule parmi d'autres.
Le public de l'entre-deux-guerres reste un public bourgeois de culture moyenne : il vit, dans une période de malthusianisme, replié sur ses biens, accroché à ses principes d'économie, de sagesse, de prudence, mais, à la faveur de beaucoup de bouleversements ou de remises en question, il devient curieux de nouvelles façons de vivre ou de sentir. Il y a deux pôles au roman bourgeois de cette époque : le respect des institutions et un désir d'affranchissement. Le sujet de prédilection, c'est le conflit entre l'individu et la famille, entre le goût de l'indépendance et le respect des traditions. De la même façon, le roman hésite entre les petitesses de la vie provinciale et l'air du large, car le lecteur est friand de ces œuvres où, par personnage interposé, il découvre un monde qu'il ne peut encore explorer en touriste. Resserrement sur une ancienne vie française, mais déjà curiosité d'autres horizons, telles sont alors les voies du roman.
L'inquiétude et les itinéraires d'évasion
Il était naturel que, dans un monde secoué par la guerre et ébranlé par de nombreuses remises en question, l'on vît figurer des héros de l'inquiétude. Le mot de Valéry avait porté : on savait que les civilisations étaient mortelles. Le « pourquoi écrivez-vous ? » des surréalistes, c'était, sous une forme agressive, la question des questions. Les[...]
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Écrit par
- Michel RAIMOND : professeur à l'université de Paris-Sorbonne
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