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ROMAN DE RENART

Animalité et féodalité

Ce qui fait le charme et explique le succès de cette épopée animale, c'est que, dans un habile et humoristique entrelacement de psychologie animale et de féodalité, cette œuvre, qui est une parodie et une satire du monde chevaleresque et courtois, est fondée sur une observation attentive de la réalité – de la vie féodale avec ses conflits et ses pratiques judiciaires, de la vie rurale avec son paysage, de la vie animale, saisie sur le vif dans des attitudes significatives – cernant de touches légères et fines les caractères des principaux acteurs, reflétant les contradictions de la société médiévale. Le Maupertuis de Renart est à la fois un château fort, situé sur une hauteur, dessus la motte, en une roche, et une tanière, composée d'une fosse (salle commune, garde-manger), d'une antichambre, appelée maire, et de l'accul où se tient la renarde : le mot donjon, qui désigne cette dernière pièce et la tour du château, permet de passer d'un aspect de la réalité à un autre.

Grimbert est un baron, lié à son suzerain par la foi et l'hommage. Respectueux de la religion et des lois, il se prononce contre les solutions brutales, cherche à rétablir la paix entre les grands, presse le goupil de se confesser et de renoncer à ses mauvais desseins. Double sociable de Renart, il accepte les règles de la vie commune et refuse de céder à toutes les sollicitations de l'instinct, tout en conservant des traits qui caractérisent son cousin – à la fois religieux et cauteleux, plein de componction quand il absout le goupil moitié romanz, moitié latin (I, 1125) et enclin à la raillerie. D'une fidélité toute chevaleresque envers Renart, il le connaît trop bien pour ne pas se méfier de lui, sans illusions mais subissant son influence au point de se gausser, par mimétisme, du malheureux ours ensanglanté. Mais Grimbert ne cesse en même temps d'être un blaireau qui, devant le roi, après avoir ôté son chapeau, se secoue et qui se déplace au petit cors, à petits pas, de sa démarche pesante et lourde, s'approchant du goupil avec une singulière prudence : il ne se lance dans une entreprise que lorsqu'il est sûr de la mener à bien, et il sort de son terrier, qu'il ne quitte que la nuit, seulement après avoir étiré et pointé son museau, puis après avoir avancé la tête et inspecté les environs. Les poètes ont fait de lui le cousin de Renart : sans doute, par parodie de la chanson de geste, a-t-on voulu transposer le lignage épique dans le Roman de Renart, mais c'est aussi le fruit de l'observation : le terrier du blaireau, très compliqué, comporte, en profondeur, une vaste chambre centrale qui communique avec d'autres salles, plus proches de la surface, où l'animal accepte que s'installent des renards, voire des lapins. Ajoutons que cette cohabitation est rarement amicale.

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Écrit par

  • : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris

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