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ROMAN Essai de typologie

La grande école

Roman pédagogique, roman d'éducation, roman d'apprentissage, roman de formation, Bildungsroman : ces termes disent l'ampleur d'un projet littéraire conçu, au siècle des Lumières, dans la foi au progrès de l'humanité. Il s'agit d'associer le lecteur au récit (le plus « vrai » possible) de vies qui se construisent dans le temps et qui, tout en acceptant leurs limites, s'efforcent de dépasser sans cesse leurs « déterminations » pour harmoniser leur « être » avec la marche de la société. Ce projet emprunte, et souvent combine, les formes les plus diverses : récits à la première ou à la troisième personne, roman-conversation, roman par lettres, aventures, voyages, digressions philosophiques. Une dimension commune caractérise toutefois des œuvres qui s'écartent autant des affabulations du roman à intrigue que du compte rendu picaresque : l'épaisseur du vécu. L'histoire de la société se concrétisera, prendra sa profondeur, son relief, à travers la subjectivité d'une existence individuelle. En retour, l'histoire de l'individu trouvera dans l'histoire de tous sa raison et sa consistance. Symphonie à « motifs » plutôt que récit linéaire, le Bildungsroman (qui implique le plus souvent un « roman des mœurs ») est généralement volumineux : son dynamisme messianique doit épouser la lente et double expérience d'un accomplissement personnel et d'une réalisation du bien commun.

Les romans de Marivaux, de Diderot, de Fielding, Paméla (1740) et Clarisse Harlowe de Richardson (1747-1748), Tristram Shandy de Sterne (1759-1766) ont les premiers précisé le champ, les personnages et l'enjeu de cette histoire où la « poésie du cœur » doit finalement, et douloureusement, s'accorder avec « la prose des rapports sociaux » (Hegel). Ainsi verra-t-on, dans la quotidienneté d'un monde pacifique et travailleur, des individus non exceptionnels, mais de bon vouloir et sensibles, rechercher le bonheur et la justice avec un sens des réalités illustré par Robinson Crusoé (1719) et selon le programme de L'Émile. Il faut apprendre : c'est la loi des Lumières, que Sade observe dans le mal avec Justine et Juliette, et à laquelle Laclos (Les Liaisons dangereuses) souscrit dans l'ordre de la perversité. Cependant, ni Goethe ni Rousseau ne dissimulent les obstacles sociaux qui peuvent s'opposer à l'éducation. C'est précisément parce que la société n'est pas parfaite que l'individu doit apprendre à vivre sur le plan pratique et sur le plan moral, sinon politique : la certitude que la nature est bonne et que l'histoire a un sens dicte à l'homme non de défier l'appareil social, mais d'en surmonter les défauts. La seconde moitié du Wilhelm Meister(1794-1796) de Goethe, qui reste le modèle du roman de formation, a significativement pour sous-titre Les Renonçants, qui pouvait convenir aussi à La Nouvelle Héloïse(1761). En effet, l'individu doit payer cher l'accord de son destin avec le destin social.

Le roman du xixe siècle s'établit sur les ruines du Bildungsroman. Il n'y a plus d'éducation. Seules comptent l'expérience et la stratégie. Quand l'éducation n'est plus que sentimentale, le héros de roman, séparé du mouvement social, est voué à l'impuissance et au désabusement. Et plus la civilisation industrielle se développe, plus on voit les personnages romanesques faire leur éducation malgré eux, par la force des choses, tel Ferdinand dans Voyage au bout de la nuit(Céline, 1932). Désormais, quand la dynamique de l'éducation figure dans le roman, elle est viciée d'une réalité que ne pouvaient admettre les romanciers de l'âge des Lumières : l'échec.

Certes, Romain Rolland, dans Jean-Christophe (1904-1912), mettra le destin[...]

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Günter Grass - crédits : Gérard Aime/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Günter Grass

<em>Les Misérables</em>, V. Hugo - crédits : Géo Dupuis/ musée Victor Hugo, Paris/ AKG Images

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Heinrich Mann - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

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