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ROMAN Essai de typologie

De la chambre close à la violence ouverte

Le coupable et le justicier, l'indice et la déduction, l'énigme et l'enquête : ces couples ont une vieille existence dans la littérature, si l'on songe au Soga monogatari du xive siècle japonais, aux Mille et Une Nuits, à Zadiget aux romans noirs de Mrs Radcliffe (1764-1823). Toutefois, le roman policier proprement dit appartient par essence aux villes modernes, où une police très organisée garantit en principe la sécurité de tous. En fait, le milieu urbain est un labyrinthe propice au crime, et trop complexe pour qu'un appareil policier puisse s'y reconnaître. D'où la nécessaire intervention d'une personne qui détectera le criminel au lieu de courir sur ses traces : le policier privé, au talent duquel on recourt comme on consulte un grand médecin. Ce détective a des méthodes opposées à celles des commissaires, inspecteurs et autres représentants de la police d'État. Après avoir examiné le théâtre du crime, où il relève des indices qui sans lui fussent passés inaperçus, il reste le plus souvent chez lui à réfléchir, reconstitue mentalement le processus du crime, découvre par déduction la seule personne qui a pu tuer ou voler, et n'a plus qu'à l'arrêter, soit en l'attirant dans un piège, soit en lui démontrant rigoureusement sa culpabilité.

Ce modèle d'investigateur criminel, cet intellectuel qui n'a pas besoin de courir après le meurtrier, a été établi par Edgar Poe en la personne de Dupin (Double Assassinat dans la rue Morgue, La Lettre volée), qui est le prototype du détective amateur. Le roman policier, tel que l'ont constitué Émile Gaboriau (Monsieur Lecoq), Conan Doyle (Les Aventures de Sherlock Holmes), Gaston Leroux (Le Mystère de la chambre jaune), Agatha Christie, John Dickson Carr, S. A. Steeman, repose sur la personnalité du détective privé, qui a sur le policier officiel l'avantage de n'avoir pas appris son métier à l'école. Grâce à son intuition et à sa logique, ce détective confond l'assassin d'un grand propriétaire, retrouve les diamants d'une comtesse ou les documents volés chez un ministre. Le roman policier se déploie dans un univers bourgeois et sa lecture reproduit les émotions et les jeux de société d'une certaine classe : bridge, échecs, mahjong. De même que l'intrigue est découverte grâce à une stratégie de l'intelligence, de même le roman policier provoque son lecteur à jouer à l'énigme. Ainsi en va-t-il des mille et un romans reposant sur le mystère de la chambre close (verrouillée de l'intérieur et de laquelle en principe le criminel n'a pu s'échapper). Mais, en vertu d'un divertissement que constituent l'intrigue et l'énigme, le roman policier devient d'emblée le plus populaire des genres, concrétisé par des collections spécialisées, aux tirages considérables.

Voici l'une des structures fondamentales du « policier » : après la découverte d'un crime inexplicable vient l'examen des mobiles par la police officielle, puis l'arrestation d'un premier coupable et le scepticisme du détective privé qui poursuit son enquête ; un nouveau crime intervient, qui innocente le premier inculpé ; enfin, le vrai coupable (parfaitement inattendu) est arrêté par le détective privé. Dans la préface à Cartes sur table, Agatha Christie a comparé le roman policier à une course de chevaux : le suspect favori n'est jamais le coupable, il faut savoir miser sur l'outsider.

Georges Simenon - crédits : Keystone Features/ Getty Images

Georges Simenon

Tel est du moins le statut du roman policier jusqu'aux années 1930, car l'apparition de Georges Simenon va en inverser les données : le policier intelligent n'est plus le détective privé, mais un commissaire divisionnaire qui résume toutes les qualités de la moyenne bourgeoisie : lucidité mais bonté, patience[...]

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Günter Grass - crédits : Gérard Aime/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Günter Grass

<em>Les Misérables</em>, V. Hugo - crédits : Géo Dupuis/ musée Victor Hugo, Paris/ AKG Images

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Heinrich Mann - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

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