ROMAN Le nouveau roman
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On groupe sous l'expression « nouveau roman » des œuvres publiées en France à partir des années 1950 et qui ont eu en commun un refus des catégories considérées jusqu'alors comme constitutives du genre romanesque, notamment l'intrigue – qui garantissait la cohérence du récit – et le personnage, en tant qu'il offrait, grâce à son nom, sa description physique et sa caractérisation psychologique et morale, une rassurante illusion d'identité.
À la tradition réaliste du roman, qui reposait plutôt sur les conventions du récit, les « nouveaux romanciers » opposèrent une autre forme de réalisme, celui qui suggère le déroulement de la conscience avec ses opacités, ses ruptures temporelles, son apparente incohérence. Mais, doublant souvent leur production romanesque de manifestes ou d'analyses théoriques, ils prétendirent donner aussi une nouvelle noblesse au genre en faisant prédominer ses aspects formels ; suivant la formule de Jean Ricardou, le roman devait être moins « l'écriture d'une aventure que l'aventure d'une écriture ».
Une « collection d'écrivains », une époque
Plutôt que de groupe ou d'école, Jean Ricardou préfère parler, à propos des nouveaux romanciers, d'une « collection d'écrivains », mus par une même ambition, mais de tempérament et de style fort dissemblables. Il a pourtant contribué au premier chef à l'« illusion de club » qu'il souhaitait dénoncer : son ouvrage Le Nouveau Roman (1973), qui met au jour les recettes plutôt que l'inspiration des nouveaux romanciers, ne retient en effet que sept noms, Michel Butor, Claude Ollier, Robert Pinget, Jean Ricardou, Alain Robbe-Grillet, Nathalie Sarraute et Claude Simon, tous participants du colloque qui se tint à Cerisy-la-Salle en juillet 1971. Pour avoir refusé de se rendre au colloque parce que, dira-t-elle, elle se méfie des a priori théoriques qui empêchent l'écrivain à l'œuvre de se découvrir lui-même, Marguerite Duras s'est, aux yeux de Jean Ricardou, exclue elle-même de la « pléiade ». Alain Robbe-Grillet la considère au contraire comme faisant partie de cette « collection » à laquelle on adjoindrait volontiers Samuel Beckett, voire Jean Cayrol (Le Déménagement, 1956 ; Les Corps étrangers, 1959) ou Claude Mauriac (la suite romanesque Le Dialogue intérieur, 1957-1979 ; L'Alittérature contemporaine, 1958).
En marge des auteurs, un nom fera l'unanimité : celui de Jérôme Lindon, éditeur courageux, directeur des éditions de Minuit, qui accepta au long des années 1950 plusieurs manuscrits de ceux qu'on appellera bientôt les nouveaux romanciers et qui demeurera le meilleur fédérateur du groupe. Dès les années 1960, son catalogue fait presque l'effet d'un palmarès des œuvres du nouveau roman. Les auteurs auxquels il avait fait confiance lui demeureront pour l'essentiel continûment fidèles.
L'expression « nouveau roman » est due à Émile Henriot qui l'employa dans un article du Monde, le 22 mai 1957, pour juger sévèrement La Jalousie d'Alain RobbeGrillet et Tropismes de Nathalie Sarraute. Robbe-Grillet fut, semble-t-il, le premier à reprendre l'appellation à son compte. Mais, réédité en 1957 par Jérôme Lindon, Tropismes datait en réalité de 1939. Nathalie Sarraute avait montré dans ce recueil de textes brefs sa méfiance envers les « caractères » tels que les concevaient les romanciers du xixe siècle, préférant s'attacher, sous le nom de « tropismes », à ces « moments indéfinissables qui glissent très rapidement aux limites de notre conscience ; ils sont à l'origine de nos gestes, de nos paroles, des sentiments que nous manifestons, que nous croyons éprouver ». De cette préférence, elle avait donné une illustration dans Portrait d'un inconnu[...]
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Écrit par
- Pierre-Louis REY : professeur de littérature française à l'université de Paris III-Sorbonne nouvelle
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