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ROMAN Le nouveau roman

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Influences, ruptures et manifestes

Le nouveau roman est spécifiquement français, voire parisien (ce qui ne l'a pas empêché de connaître une grande fortune à l'étranger, notamment aux États-Unis). Cette origine se perçoit à l'adjectif « nouveau », qui a servi, chez nous, d'autres effets de mode. On l'expliquera par la tradition du roman français, réputée pour ses vertus de clarté et pour la priorité qu'elle accorde à la psychologie. Aux pays de Joyce, de Faulkner ou de Virginia Woolf, voire de Musil ou de Kafka, il y aurait eu moins de raisons de rompre tapageusement les amarres. En enrichissant son œuvre d'arrière-plans esthétiques et philosophiques, en raffinant comme nul avant lui sur les nuances de la psychologie, en composant une galerie de personnages qu'on ne saurait réduire à des épiphénomènes ou à des fantasmes issus de la conscience du narrateur, Proust clôt en apothéose le roman du xixe siècle plus qu'il n'ouvre sur le suivant. Si Nathalie Sarraute et Claude Simon se découvrent, surtout en fin de parcours, des parentés profondes avec son génie à explorer les secrets de la mémoire, il était hors de question qu'ils inventent leur écriture en s'inspirant de sa manière de déployer la phrase, encore moins qu'ils s'exposent à passer, à son exemple, pour les Saint-Simon de leur époque. Si Les Faux-Monnayeurs de Gide racontent l'aventure d'une écriture, celle-ci sert prioritairement une étude psychologique et morale. Plus hardi dans ses innovations de langue, Céline a, dans ses romans, modifié le rythme plutôt que l'ordre du récit. Raymond Queneau serait un meilleur parrain du nouveau roman. Il a lui-même expliqué comment Le Chiendent (1933) avait été organisé en un nombre de chapitres d'emblée soustrait au hasard et suivant une forme cyclique. Soumettant le roman comme la poésie à la loi des nombres, ses recherches formelles trouvent un écho dans La Jalousie, par exemple, où l'obsession des chiffres et la rigueur ostentatoire de la composition n'excluent pas l'humour.

Publiée en 1956, mais composée pour moitié de textes antérieurs, L'Ère du soupçon peut passer pour le premier manifeste avant la lettre du nouveau roman. Nathalie Sarraute n'y revendique guère d'inspirateurs français. Elle analyse comment Kafka a hérité de Dostoïevski plus que de Proust cet univers où « ne reste qu'une immense stupeur vide, un ne-pas-comprendre définitif et total ». Le soupçon naît du moment où les œuvres sont envahies par « un je anonyme qui est tout et qui n'est rien et qui n'est le plus souvent qu'un reflet de l'auteur lui-même », discréditant le tout-puissant et trop transparent personnage balzacien. Balzac sert pareillement de bouc émissaire à Robbe-Grillet dans Pour un nouveau roman (ensemble d'études écrites entre 1956 et 1963) pour sa dénonciation du personnage romanesque, notion qu'il juge « périmée » au même titre que l'« histoire » ou l'« engagement ». Accordant à Sartre et à Camus le mérite de s'être éloignés, dans La Nausée et L'Étranger, des « types humains » du roman traditionnel, il leur reproche d'avoir néanmoins cédé au besoin d'exprimer une « tragification » de l'univers. Refusant de se poser en théoricien, Robbe-Grillet veut seulement dissiper quelques malentendus : le nouveau roman n'est pas une théorie, mais une recherche ; il est l'aboutissement d'une évolution qui, rompant avec l'ordre balzacien ici encore mis à contribution, s'aperçoit à partir de la description de la bataille de Waterloo par Stendhal ; loin de se désintéresser de l'homme, il ne s'intéresse qu'à lui et à sa situation dans le monde ; alors qu'on le croit épris d'objectivité, il vise à une subjectivité totale, ne propose pas de signification toute faite et ne reconnaît[...]

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Écrit par

  • : professeur de littérature française à l'université de Paris III-Sorbonne nouvelle

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Média

Nathalie Sarraute - crédits : Louis Monier/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Nathalie Sarraute

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