ROMAN Le nouveau roman
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Nouvelles techniques, nouvelle vision du monde
Les débuts du nouveau roman ne coïncident pas par hasard avec ceux de la « nouvelle vague » (expression employée pour la première fois dans L'Express, à l'automne de 1957, pour désigner une nouvelle génération de cinéastes). Les films de la nouvelle vague présentent entre autres originalités une bande-son où les voix ne sont plus hiérarchisées de manière à permettre une claire écoute des acteurs principaux, mais brouillées, comme dans la vie, l'effet étant souvent accusé par le choix de scènes de rue ou de café ; du moins le spectateur voit-il les personnages et peut-il ainsi les identifier. Donnant non à voir, mais à imaginer, le roman autorise un brouillage plus décisif dont Vous les entendez ? (1972) de Nathalie Sarraute parut offrir un exemple limite puisque les voix qui composent le texte sont entendues au travers d'une cloison. Sans aller aussi loin, les premiers romans de Robbe-Grillet reflétaient une incertitude sur la provenance ou l'interprétation des paroles : dans Le Voyeur (1955), les bribes de conversation saisies ici et là par Mathias ne suffisent pas pour lui permettre de reconstituer l'enchaînement des faits. Aux dialogues du roman traditionnel soigneusement pourvus d'incises, moqués par Nathalie Sarraute dans « Conversation et sous-conversation » (L'Ère du soupçon), tend à se substituer un concert confus qui obéit à un réalisme plus exigeant, mais reflète aussi une situation permanente d'incommunication.
À défaut de disparaître, le personnage évolue. Nathalie Sarraute intitule un roman Martereau (1953) pour donner ironiquement la vedette à un faux héros qui encombre l'imagination d'un narrateur désoccupé. Mais Léon Delmont, héros de La Modification (1957) de Michel Butor, garde toutes les caractéristiques du personnage traditionnel (âge, physique, profession, situation de famille, etc.), et le « vous » qui le désigne afin de mieux impliquer le lecteur relève de l'exercice d'école. Chez Robbe-Grillet, tandis que Wallas (Les Gommes, 1953) et Mathias (Le Voyeur) méritent encore, aussi énigmatiques soient-ils, le nom de « personnages », le narrateur de La Jalousie est réduit à un regard (exceptionnellement à une oreille quand s'élève le chant de l'indigène), et la figure de son épouse, identifiée par l'initiale A., aux traits et gestes qui composent l'obsession du jaloux. Dans La Route des Flandres (1960) de Claude Simon, l'identité du héros, Georges, se dissout au fil du texte au profit des impressions qui enrichissent sa conscience. Si on annexe difficilement les œuvres de Marguerite Duras au nouveau roman, c'est qu'y figurent (voire y reviennent, dans le cas d'Anne-Marie Stretter) des personnages au destin romanesque, fussent-ils (telles Lol. V. Stein ou Emily L.) dotés d'un nom qui trahit un manque : faille de la connaissance que prend d'eux le lecteur, persistance d'un indicible, ou béance de l'être qui débouche sur la folie. Pour l'essentiel, la mise en question du personnage vise en priorité celui qu'une tradition romanesque a souvent imposé comme le premier d'entre eux : le narrateur. À la question « qui parle ? », qui exprime un trouble sur son identité, a de plus en plus répondu un « ça parle ». Si le je qui donne son impulsion au roman Dans le labyrinthe (1959) de Robbe-Grillet s'abolit bientôt au profit de formes qui s'enchaînent d'elles-mêmes, dans Triptyque (1973) de Claude Simon c'est le paysage d'une carte postale qui, d'emblée, organise le récit. Au-delà de l'exercice littéraire, la fusion du je au sein d'un monde de représentations signifie la mort du héros (dont l'aventure a donné originellement son sens au roman) et peut-être du sujet. Toute conscience est conscience de quelque[...]
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Écrit par
- Pierre-Louis REY : professeur de littérature française à l'université de Paris III-Sorbonne nouvelle
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