ROMAN Le personnage de roman
Les aspects du personnage
Ces figures héroïco-romanesques, dont la bande dessinée, le cinéma et la télévision répètent l'image, nous leur trouvons un aspect physique, une vêture, des comportements, des attitudes mentales bien déterminés. Mais, si l'on considère le genre romanesque dans son histoire et dans son ensemble, on voit combien il est difficile de définir l'expression littéraire du personnage, tant les écrivains ont recouru à des techniques diverses pour les présenter au lecteur. Des romanciers dessinent leurs personnages en détail, d'autres les privent de tous attributs physiques. En outre, le personnage romanesque n'est pas toujours nécessairement un être humain. Dans le roman chinois Le Voyage en Occident, deux personnages sont des animaux (un singe et un porc) et le troisième un démon. Au xxe siècle, Édouard Estaunié fera parler des objets comme des personnages dans Les choses voient. Dans quatre romans contemporains (Pétersbourg, de A. Biely, Manhattan Transfer, de Dos Passos, Ulysse, de Joyce, Berlin Alexanderplatz, de A. Döblin), une grande ville moderne a fonction et valeur de personnage, tandis que dans l'œuvre de Jean Giono un fleuve ou une colline ont une présence humaine.
Le tracé du personnage, la manière dont il est présenté au lecteur dépendent avant tout du système de pensée qu'il est chargé de rendre sensible, et ce système est lui-même inscrit dans une civilisation et dans une culture. Précise ou imprécise, l'expression du personnage ressortit à une forme de langage (à un style) qui n'est pas indépendante d'un vaste discours littéraire avec lequel le romancier est confronté quand il entreprend d'écrire. S'il se nomme Rousseau, Dostoïevski ou Proust, ce romancier peut tailler en pièces ce discours, le refondre ou en développer à l'extrême les ressources. Parallèlement, l'écrivain dispose des divers niveaux du langage social de son époque, dont il se sert comme d'une matière pour composer son personnage. Proust interrompt son discours proprement littéraire (esthétique) quand il doit faire parler, chacun selon sa condition, la cuisinière Françoise, le giletier Jupien, le médecin Cottard, et ces paroles sont d'une tout autre nature que celles qu'on écoute chez Balzac. Dans le xviie siècle français, les personnages du roman précieux d'une part, ceux des récits burlesques de l'autre représentent deux discours antagonistes au sein d'une même société et d'une même langue.
Ainsi le personnage, avant d'être une figure humaine, appartient-il à un texte. En 1926, le romancier et critique anglais E. M. Forster (Aspects of the Novel) faisait une judicieuse distinction entre les personnages ronds et les personnages plats. Les premiers forment chacun un univers total et complexe, dans le volume duquel se développe une histoire stratifiée et rayonnante, aux aspects souvent contradictoires. Les seconds ressemblent à une surface limitée d'un trait, ce qui ne les empêche pas de jouer parfois dans l'œuvre un rôle décisif. Mais quelles que soient les dimensions du personnage, un discours romanesque constitue toujours un ensemble organisé, une totalité de langage dont les critiques et les historiens de la littérature sont fâcheusement enclins à extraire, à isoler le personnage, comme si reposaient sur lui toute la signification, toute la valeur esthétique du roman. En fait, le personnage constitue un élément d'une structure narrative, et c'est pourquoi une figure qu'on ne voit pas, qui est dépourvue de signes distinctifs, peut avoir dans un roman autant de présence qu'un personnage très explicitement décrit.
Quand le cinéaste Fellini eut mis en images le Satiricon, on sut quelle avait été l'apparence « réelle » des personnages de Pétrone. Celui-ci, en effet, s'était surtout préoccupé de traduire[...]
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Écrit par
- Michel ZÉRAFFA : maître de recherche au C.N.R.S., écrivain
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