ROMAN Le roman français contemporain
Écrire l'Histoire : le roman archéologique
Romans archéologiques
À travers les « récits de filiation » et les « fictions biographiques », le sujet contemporain, orphelin des valeurs qui présidaient à l'existence de ses aînés, cherche en effet à comprendre un temps qui lui échappe, et à prendre en charge le legs parfois douloureux du passé. La Marque du père de Michel Séonnet (2007) évoque, pendant la Seconde Guerre mondiale, l’engagement paternel dans la division Charlemagne ; Pas pleurer (2014) de Lydie Salvayre revisite, à travers la mémoire défaillante d’une mère et des extraits scandalisés des Grands Cimetières sous la lune, de Georges Bernanos, les élans et les noirceurs de la guerre d’Espagne. Ainsi, au moment où se referme le « court vingtième siècle » (1914-1989), laissant derrière lui un sillage de désastres et dépouillant le présent de ses récits de légitimation, les romanciers procèdent-ils à une véritable réhistoricisation de la conscience subjective. Mais ils ne le font guère à la façon du roman historique, pas même en imitant les rares romanciers des années 1960-1970 – Marguerite Yourcenar, Michel Tournier... – qui s'y sont essayés. Selon les modèles offerts par Claude Simon (L’Acacia, Le Jardin des Plantes) et Patrick Modiano (Dora Bruder, 1997), c'est à partir du présent qu'ils envisagent ce passé, substituant dans le corps du livre le récit de la recherche et de l'enquête à la narration chronologique des événements proprement dits. Car le modèle fondateur du roman historique, lié, comme le rappelle Lukacs, à une période d'expansion, est désormais caduc : ce sont les traces et les archives, les récits insatisfaisants et tronqués, les zones d'ombre et d'incertitude que traque maintenant un roman que l'on dirait plus justement « archéologique » qu'historique.
Les auteurs de romans policiers, en revisitant les exactions liées aux « événements » d'Algérie ou à la collaboration (Didier Daeninckx, Meurtres pour mémoire, 1984), aux fusillades « pour l'exemple » de la Grande Guerre (Sébastien Japrisot, Un long dimanche de fiançailles, 1991), ont ainsi ouvert des chantiers nouveaux que prolongent les romans de Jean Rouaud (Les Champs d'honneur) et nombre d'autres, tournés vers la Seconde Guerre mondiale (Marguerite Duras, La Douleur, 1985 ; Écrire, 1993 ; Lydie Salvayre, La Compagnie des spectres, 1997 ; Patrick Modiano, Dora Bruder ; Michel Chaillou, 1945, 2004...). De libres et critiques évocations rétrospectives de Mai-68 et des années militantes paraissent sous la plume d' Olivier Rolin (Tigre en papier, 2002) ou de Jean-Pierre Le Dantec (Étourdissements, 2003), quand d'autres visitent enfin, de ce côté-ci de la Méditerranée, les pages tues de la guerre d'Algérie (Arno Bertina, Le Dehors, ou la Migration des truites, 2001 ; Bertrand Leclair, Une guerre sans fin, 2008 ; Laurent Mauvignier, Des Hommes, 2009 ; Jérôme Ferrari, Où j’ai laissé mon âme, 2010 ; Alice Zeniter, L’Art de perdre, 2017). Un geste de restitution se dessine ici, dans les deux sens du terme : la reconstitution a posteriori d'un passé mal su se double d'une restitution de cette histoire, comme en hommage à qui en fut victime. Les récits des enfants de la Shoah, dans la voie ouverte par Georges Perec ou Robert Bober, sont nombreux à chercher leur chemin entre la mémoire empêchée, le silence et la prégnance des blessures ouvertes. Après le grand silence qui suivit la parution des récits de survivants, le film de Claude Lanzmann, Shoah (1985), et la vague des grands procès de nazis ou de collaborateurs contribuent à faire émerger des textes qui s'affrontent à la difficulté de ne pouvoir témoigner de ce qui leur échappe (Henri Raczymow, Un cri sans voix, 1985 ; Sarah Kofman, Paroles suffoquées, [...]
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Écrit par
- Dominique VIART : professeur des Universités, université Paris Nanterre, Institut universitaire de France
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