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ROMAN Le roman français contemporain

Plaisirs et incongruités du récit

Romans ludiques

Toutes ces entreprises narratives supposent une confiance retrouvée dans le récit. Après les perturbations dont il fut l'objet, l'époque contemporaine renarrativise le roman. Elle témoigne même d'une fascination nostalgique envers les grandes œuvres romanesques du patrimoine – celles de Conrad, Stevenson, Verne mais aussi de Balzac, salué par Michon, ou de Dickens, salué par Belletto. Nul ne prétend bien sûr réintroduire aujourd'hui cette forme d'écriture et ceux qui s'y essaient paraissent de bien pâles continuateurs. C'est plutôt sur le mode parodique que des narrations virtuoses raffinent sur le souvenir et le savoir de la littérature, qu'elles soient inspirées du roman historique comme chez Renaud Camus (Roman roi, 1983), qu'elles inventent des écrivains fictifs (Benjamin Jordane dont Jean-Benoît Puech publie et commente les œuvres apocryphes) ou qu'elles revisitent avec Echenoz les diverses formes du romanesque : le roman policier dans Cherokee (1983) ; d'aventure dans L'Équipée malaise (1987) ; d'espionnage dans Lac (1989) ; d’anticipation dans Nous Trois, (1992) ; le jeu dans un réalisme illusoire avec Un an (1997) ; la fiction biographique avec Ravel, (2006), Courir(2008), Des éclairs (2010) ; le roman historique dans 14(2012). L’écrivain multiplie les échos décalés à Manchette, Stevenson, Conrad ou Jules Verne, aussi bien qu’à Hitchcock (Les Grandes Blondes). Ces intrigues virtuoses et dérisoires, connaissent une version minimaliste chez Jean-Philippe Toussaint (La Salle de Bain, 1985 ; L’Appareil photo, 1989), chez Christian Oster (Mon Grand Appartement, 1999 ; Une femme de ménage, 2001) dont le ton désinvolte rend désopilants les maigres événements qui accablent d'insignifiants personnages, ou encore chez Christine Montalbetti qui fait de la métalepse (commentaires incongrus de l’auteur au milieu de son récit, à la manière de Sterne ou de Diderot) l’une de ses marques de fabrique (L’origine de l’homme,2002 ; Western, 2005 ; Love hôtel, 2013). Ces pratiques ludiques, avec leur vaste combinatoire de registres et de mondes, se prêtent admirablement aux théorisations parfois contradictoires de la « postmodernité ». Mais la surenchère savante des romans d'Umberto Eco ou les exagérations baroques d'un John Irving n'ont guère d'équivalent dans le roman français et c'est plutôt sous une forme décalée que d'autres romans, plus linéaires, réduisent le romanesque à sa plus simple expression : un tissu de maigres événements survenus à d'insignifiants personnages que seul le ton désinvolte du narrateur fait tenir. En 1989, Jérôme Lindon, directeur des éditions de Minuit, rassemble sous le nom d'« impassibles » plusieurs de ses auteurs : aux côtés de Jean Echenoz figurent Jean-Philippe Toussaint, Christian Oster et Patrick Deville (Cordon bleu, 1987). D'autres, venus plus tard cultiver dans leur voisinage une certaine dérision – plus proche de celle autrefois pratiquée par Robert Pinget – demeurent trop divers pour donner vraiment corps à cette illusion de groupe : Christian Gailly dont les romans mettent en scène des musiciens désabusés, jazzmen ou pianistes classiques, qu'une dernière étincelle ranime (K.622, 1989 ; Be bop, 1995 ; Un soir au club, 2002) ; Tanguy Viel qui démarque ses narrations de réels ou possibles scénarios cinématographiques (Cinéma, 1999 ; L’Absolue Perfection du crime, 2001 ; Insoupçonnable, 2006) ; Éric Chevillard dont la fantaisie moque les absurdités du monde et de ses pratiques littéraires avec une férocité jubilatoire (L’Œuvre posthume de Thomas Pilaster, 1999 ; Oreille rouge, 2005 ; Démolir Nisard, 2006). Cette pratique du second degré ne manque pas d’observations ironiques ou acides sur[...]

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Écrit par

  • : professeur des Universités, université Paris Nanterre, Institut universitaire de France

Classification

Médias

Serge Doubrovsky - crédits : Ulf Andersen/ Getty Images

Serge Doubrovsky

Pierre Bergounioux - crédits : Sophie Bassouls/ Sygma/ Getty Images

Pierre Bergounioux

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Pierre Michon

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