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PICARESQUE ROMAN

On qualifie ordinairement de picaresques un ensemble de romans espagnols qui, sous forme autobiographique, racontent les aventures d'un personnage de basse extraction (le pícaro), sans métier, serviteur aux nombreux maîtres, volontiers vagabond, voleur ou mendiant. Le genre s'ouvre en 1554 par un chef-d'œuvre anonyme : la Vie de Lazarillo de Tormes. Il atteint son sommet dans la Vie de Guzman d'Alfarache de Mateo Alemán (première partie : 1599 ; deuxième partie : 1604). Par la suite, de nombreux romans se publient en Espagne, qui ont un pícaro pour héros.

Cette littérature a donné lieu hors d'Espagne à de nombreuses imitations : en Allemagne, le Simplicius Simplicissimus, de Grimmelshausen (1668) ; en France, Gil Blas, de Lesage (1715-1735) ; en Angleterre, Moll Flanders de De Foe (1722) et Tom Jones de Fielding (1749) ; au Mexique, El Periquillo Sarniento (1830), de Fernández Lizardi.

Aussi bien en Espagne qu'à l'étranger, l'appellation « picaresque » est souvent le produit d'une généralisation abusive, dont l'effet est d'obscurcir les caractères intrinsèques d'un genre restreint à un nombre limité d'ouvrages, tous fondés sur une représentation singulièrement problématique du destin moral de l'homme.

La condition du pícaro

Un roman picaresque ne se confond avec aucun de ces livres de « gueuserie », dont l'Europe fut friande au xvie siècle et qui dépeignent sous des traits facétieux les mœurs d'une pègre errante et mendiante. Dès qu'il surgit avec la Vie de Lazarillo, le pícaro transcende l'anecdote « truandière » et s'insère dans une mentalité spécifique : celle d'une Espagne qui, de plus en plus figée dans ses structures seigneuriales agraires, refuse de s'intégrer au modèle mercantiliste européen. L'écrasement, en 1521, de la révolte des cités de Castille avait compromis l'essor d'une bourgeoisie naissante et consacré le mépris du négoce et de l'esprit de lucre. Le modèle dominant est désormais celui de l' hidalgo, vieux chrétien au lignage sans tache, qui ne travaille pas de ses mains et érige l'honneur (honra) en patrimoine moral. C'est à lui que s'oppose le pícaro, qui n'est rien d'autre qu'un hidalgo à rebours ; son premier soin est de dévoiler sa naissance ignoble (il n'y a dans son lignage que larrons, escrocs, juifs et prostituées), déterminante à l'endroit d'un « antihonneur » qui conditionne son comportement. L'hypothèse du récit picaresque (sous sa forme originelle) est que le sang, selon ce qu'il est, incline à bien faire ou à méfaire. Mais les romans picaresques ne retiennent cette hypothèse radicale qu'à seule fin de la mettre en discussion : un homme mal né serait-il condamné d'avance, quoi qu'il pense ou qu'il fasse ?

Or, quelle voie s'offre au pícaro qui, de par ses origines, est issu d'un milieu où l'on ne vit, bien ou mal, que d'expédients, sinon de se consacrer à toutes sortes d'activités marginales, toujours liées à l'argent ? Il se fera valet, portefaix, marmiton, mendiant ou, dans le meilleur des cas, financier, c'est-à-dire, dans la mentalité de l'époque, escroc. Dans un monde où seule la terre fournit au paysan ou au seigneur un revenu naturel et honnête, parce que non usuraire, toute activité de négoce, quelle qu'en soit la nature (le travail est une marchandise, au même titre, paradoxalement, que la mendicité), sera réputée douteuse du fait que le profit ne saurait s'obtenir qu'au détriment du prochain, si bien que le pícaro, exposant d'une mentalité hostile au mercantilisme, dont il est aussi victime, pourrait bien n'être qu'un bourgeois manqué. Le propre du récit picaresque est que la hantise de la quotidienne subsistance s'amalgame[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences à l'U.E.R. de lettres de l'université de Limoges

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