PICARESQUE ROMAN
La cristallisation d'un genre
La Vie de Lazarillo et Guzman d'Alfarache connurent un grand succès qu'attestent de nombreuses éditions et des suites apocryphes (pour la Vie de Lazarillo, la première date de 1555, et Guzman d'Alfarache, dont la première partie est de 1599, se vit attribuer par un plagiaire une deuxième partie en 1602, alors qu'Alemán travaillait à l'achèvement de son ouvrage). Ce succès a sa cause dans « les tourments intimes de certaines couches de privilégiés » (M. Bataillon) qui, hantés par le problèmes de l'honneur et des honneurs fondés à la fois sur l'argent et le mépris de l'argent (ou du travail qui le procure), prirent plaisir à l'éloge de la cynique ascèse du pícaro, si habile à leur montrer la vanité d'une chimère préjudiciable au salut.
Le genre s'affirme avec la Narquoise Justine (La Pícara Justina, 1605) de F. López de Ubeda, vaste jeu d'esprit moralisateur, et la Vie de l'aventurier (La Vida del buscón) de F. de Quevedo, dont une première rédaction remonterait à 1604 et qui fut publiée en 1626. Ce dernier livre marque un tournant : Pablos de Segovia, l'aventurier quévédien, irrémédiablement prisonnier de son picarisme, est marqué dès sa naissance par une abjection dont, quoi qu'il en ait, il ne saurait sortir. Il n'est plus question ici de discuter la condition picaresque, inscrite dans un déterminisme porté à sa perfection : déterminisme moral involué dans un déterminisme social sans faille. Le livre, qui est une condamnation exemplaire du pícaro, ne s'accompagne d'aucune réflexion édifiante.
À partir de la Vie de l'aventurier, le roman picaresque espagnol se démet de sa problématique propre : il sera, comme La Fille de Célestine(La Hija de Celestina, 1612), de Salas Barbadillo, ou les récits noirs et piquants de Castillo Solórzano, l'histoire d'un personnage qui, à travers des aventures toujours malhonnêtes, affirmera sa persévérance dans la turpitude dont il émane. Du modèle picaresque originel on ne conserve plus ici que la forme et l'orientation péjorative. Une autre cristallisation, inverse de la précédente, consiste à ne garder du modèle que le schème dynamique fondé sur le thème du « serviteur aux nombreux maîtres » : une série d'aventures plaisantes ou touchantes dont le héros n'est plus un pícaro, mais un homme de bien. Telle est la forme de la Vie de l'écuyer Marcos de Obregón de Vicente Espinel (1618), et du Convers beau parleur (El Donado hablador, 1624), de Jérónimo de Alcalá, livres où la matière picaresque s'est dissoute au point de ne plus livrer, sous la forme d'une arbitraire errance, que l'image méliorative d'un anti-pícaro.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Maurice MOLHO : maître de conférences à l'U.E.R. de lettres de l'université de Limoges
Classification
Autres références
-
ALEMÁN MATEO (1547-env. 1615)
- Écrit par Edmond CROS
- 1 568 mots
...l'aptitude qu'il montre à épouser, successivement, les contours d'une série de types. C'est elle, toujours, qui régit la conduite de la « démonstration picaresque », qui s'organise autour de deux lieux intrinsèques, le lieu du contraire, le lieu de la cause et de l'effet. C'est à cette médiation enfin... -
ARGOT
- Écrit par Pierre GUIRAUD
- 4 076 mots
L'ouvrage, sous forme de roman picaresque, est un récit autobiographique où l'auteur, un péchon (apprenti), décrit sa vie parmi les mercelotz. -
LES AVENTURES DE SIMPLICISSIMUS, H. J. C. von Grimmelshausen - Fiche de lecture
- Écrit par Romain JOBEZ
- 1 120 mots
- 1 média
...travers cette figure et celle de Simplex, Grimmelshausen nous laisse un précieux témoignage sur la condition militaire pendant la guerre de Trente Ans. L'illustration divertissante de la thèse religieuse du roman, sur laquelle viennent se greffer les aventures de Simplex sous d'autres conditions (bouffon,... -
BURLA, littérature
- Écrit par Monique JOLY
- 514 mots
Le terme espagnol burla désigne aussi bien la moquerie que la tromperie. Sur le plan littéraire, il est employé pour caractériser de façon large toute la matière facétieuse issue de la mise en œuvre de ces deux ressorts, matière longtemps indispensable pour la structuration d'une intrigue, hors...
- Afficher les 29 références