POLANSKI ROMAN (1933- )
Un univers mental
Les premiers courts-métrages polonais de Roman Polanski donnent déjà le ton d'un univers désenchanté, voire désespéré, où la violence et le meurtre côtoient l'indifférence : Meurtre (1956), La Lampe (1959), Quand les anges tombent... (1959). Trois autres courts-métrages très remarqués, Deux hommes et une armoire (1958), Le Gros et le maigre (1961) et Les Mammifères (1962), relèvent de l'allégorie. Ils évoquent le rejet des êtres qui sortent de la norme, ou la domination subie ou acceptée. À chaque fois, si le sujet intrigue, l'originalité et l'habileté du traitement séduisent.
C'est encore un affrontement entre deux hommes qui est au cœur du Couteau dans l'eau, sur un scénario qui doit beaucoup au futur réalisateur Jerzy Skolimowski. Un chroniqueur sportif embourgeoisé entraîne un jeune étudiant sur son yacht pour vingt-quatre heures. Il l'humilie sans cesse sous les yeux de son épouse, calme et sensuelle, qui méprise le jeu cruel auquel semble se soumettre le jeune homme... Le film est d'autant plus remarqué qu'il rompt avec les thèmes de la génération précédente (celle de Wajda, Munk, Kawalerowicz...), c'est-à-dire la guerre, la résistance, le communisme. La réalisation est parfaitement maîtrisée malgré les difficultés que représentent aussi bien le tournage de ce huis clos sur un bateau que la faiblesse des moyens. Polanski restera un adepte des méthodes de travail et de tournage classiques et reprochera toujours à la Nouvelle Vague française son manque de professionnalisme technique.
Le Couteau dans l'eau aurait pu se situer ailleurs qu'en Pologne, tout comme Répulsion ailleurs qu'à Londres où il est tourné. L'univers de Roman Polanski est en effet essentiellement mental. Répulsion est réalisé à partir d'un scénario d'épouvante écrit par Gérard Brach, avec qui Polanski collaborera fréquemment. Mais faire peur ne lui suffit pas. Il fait de Carol (Catherine Deneuve), cette jeune femme qui s'enferme dans un appartement et tue tous ceux qui tentent d'entrer, un véritable cas clinique. L'appartement est moins une prison qu'une protection et les agressions de Carol sont tout autant des gestes de défense. Polanski joue sur un double regard : le regard réaliste de l'entomologiste est doublé d'un point de vue subjectif qui nous fait partager l'inexplicable folie du personnage. Ici, plus encore que dans Le Locataire, l'appartement, et avec lui le monde, perdent de leur consistance pour devenir le prolongement de son univers intérieur.
Polanski considère Cul-de-sac, également tourné en Grande-Bretagne, comme son film « le plus valable du point de vue du cinéma ». Il est pourtant influencé par un certain théâtre moderne (Beckett, Adamov). Ce couple de gangsters ratés séquestrant un couple improbable sur une île abstraite séduit le public britannique par son humour et le jeu de Donald Pleasance. Mais le film est un échec en France. Heureusement, Le Bal des vampires va toucher un large public : Polanski y respecte les codes et les stéréotypes indispensables du film de vampire, mais ne joue pas la carte facile de la parodie ou de la dérision. Par un humour incessant, il oblige le spectateur, pour sa plus grande joie, à accepter ce qu'il sait être parfaitement faux. Le finale est de la même nature que celui de Rosemary's Baby : nos maladroits chasseurs de vampires participeront à la probable domination de la Transylvanie par les adeptes du comte von Krolock.
Rosemary's Baby, de son côté, commence comme un soap opera pour s'achever en cauchemar. D'abord séduit, le spectateur est peu à peu amené à partager, comme dans Répulsion, la vision paranoïaque de Rosemary, convaincue que ses voisins sont des sorciers... Visions objective et subjective des faits semblent se confondre, sans que[...]
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Écrit par
- Joël MAGNY
: critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux
Cahiers du cinéma - Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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