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POLANSKI ROMAN (1933- )

La victime et son bourreau

À l'exception d'un court-métrage perdu (La Bicyclette, 1955), aucun film de Polanski n'est directement autobiographique. Pourtant, tous ont à voir avec son enfance troublée, confisquée, violentée : la domination d'un être, parfois d'une communauté, sur un autre, avec ce que cela implique de sadisme et de masochisme, de réversibilité et de trouble de l'identité, y occupe une place centrale. Premier film réalisé après le meurtre de Sharon Tate, l'adaptation cinématographique de Macbeth (1971) est la plus sanglante jamais réalisée. Mais elle ne se résume pas à un exercice cathartique. Macbeth incarne un Mal absolu qui renvoie moins à l'Écosse du xie siècle qu'au monde en proie à la folie hitlérienne et au nôtre aussi peut-être, puisque, contrairement à la pièce de Shakespeare, le film laisse supposer que cette histoire n'a pas de fin.

Tout le cinéma de Polanski est travaillé par la tragédie de la Seconde Guerre mondiale. L'enfermement, subi ou volontaire, constitue une figure scénographique constante de son œuvre : appartements ou maisons de Répulsion, du Locataire, de Rosemary's Baby, d'Oliver Twist (2005), du Pianiste, de Carnage, châteaux de Cul-de-sac, du Bal des vampires. Ce que confirment les films d'errance où alternent refuges et prisons, tels que Chinatown (1974), Frantic (1988), Tess (1979), Pirates (1986)... À l'extrême de la violence exercée par un être sur un autre pour le contraindre, figure le viol, évoqué dans presque tous les films du réalisateur. Les relations amoureuses elles-mêmes sont fréquemment empreintes d'une violence sado-masochiste (What ?, 1973 ; Lunes de fiel, 1992).

Pourtant, la description du mal pour lui-même intéresse moins Polanski que celle du lien entre la victime et son bourreau, comme dans La Jeune Fille et la mort, où une femme règle ses comptes avec son tortionnaire. Si Polanski a tant attendu pour aborder directement le génocide des juifs dans la Seconde Guerre mondiale, c'est qu'il n'entendait pas seulement constater ou dénoncer. D'où son refus de l'autobiographie : dans Le Pianiste, inspiré du livre de Wladyslaw Szpilman, il nourrit le récit de détails précis tirés de sa propre expérience. Il ne s'agit pas seulement de dire une fois de plus la barbarie nazie, mais de s'interroger sur l'être humain et sa capacité à rester lui-même, dans un monde où tout vise à le rendre inexistant. La musique joue le rôle de l'indispensable catalyseur. Elle rend possible un lien humain, comme le cinéma pour Polanski lui-même.

Cette même question, le cinéaste la pose sur un mode mineur dans les derniers films qui suivent. Dans The GhostWriter (2010), le « nègre » de l'homme politique finit par disparaître, purement et simplement, faute d'un tel lien. Dans Carnage, ce lien se limite à la convenance sociale : aussitôt qu'il disparaît, les quatre personnages « politiquement corrects » ne peuvent plus que s'humilier les uns les autres, perdant aussi bien leur self-control que leur personnalité, si élémentaire soit-elle. La Vénus à la fourrure (2013) renoue avec l’atmosphère de huis clos qui marque les premiers films de Polanski. Sur la scène d’un théâtre, la guerre des sexes est cette fois le lien qui tout à la fois unit et oppose Thomas (Mathieu Amalric) et Vanda (Emmanuelle Seigner). En 2019, il donne J’accuse (grand prix du jury à la Mostra de Venise), récit de l’affaire Dreyfus racontée du point de vue d’un de ses principaux protagonistes, le colonel Picquart. Le projet fut mené à bien non sans rencontrer des difficultés de financement. Dès 2012, le réalisateur expliquait : « J'ai longtemps voulu faire un film sur l’affaire Dreyfus, en traitant le sujet non comme un drame en costumes mais comme une histoire d'espionnage. »[...]

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Écrit par

  • : critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux Cahiers du cinéma
  • Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

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