POLICIER ROMAN
Ni bons ni méchants
Le roman policier semblait figé dans un manichéisme fort simple entre bons policiers et méchants bandits lorsque Dashiell Hammett (1894-1961) puis, quelques années, plus tard Raymond Chandler (1894-1960) font éclater le genre en créant ce qu'on baptisera plus tard le roman noir ou encore hard-boiled. Après La Moisson rouge (1929) et Sang maudit (1929), deux enquêtes menées par le Continental Op dans un climat d'extrême violence, Le Faucon maltais (1930) a pour protagoniste le détective privé Sam Spade, « un sauvage qui ne renonce pour rien au monde à appeler un chat un chat », selon la formule d'Ellery Queen. Ce roman confirme une rupture non seulement avec le style anglo-saxon classique remplacé ici par une écriture béhavioriste, mais aussi avec les règles morales du genre. Ancien détective privé à l'agence Pinkerton, Hammett se montre sans illusion sur l'individu, même s'il fut lié avec les milieux de la gauche américaine.
Chandler ira plus loin encore avec le personnage de Philip Marlowe (Le Grand Sommeil, 1939). Le privé désabusé et cynique qui évolue aux confins de la légalité est, chez Chandler, un homme d'honneur qui mène son enquête dans un univers de policiers corrompus et de requins de la finance. Outre Le Grand Sommeil, le cycle Marlowe comprend Adieu ma jolie (1940), La Grande Fenêtre (1942), La Dame du lac (1943), Fais pas ta rosière (1949), The Long Good-Bye (1953 ; dont Sur un air de navaja constitue la première traduction amputée de cent pages), Charade pour écroulés (Play Back, 1958) et Marlowe emménage (1989), ouvrage achevé par Robert B. Parker et dans lequel le détective se marie.
Dans divers écrits théoriques et dans ses lettres, Chandler s'est élevé contre le policier classique réservé « aux vieilles dames des deux sexes ou sans sexe du tout ». Son monde est « celui où personne ne peut marcher tranquillement le long d'une rue noire, parce que la loi et l'ordre sont des choses dont on parle mais qu'on ne met pas en pratique ».
Le succès de Chandler et de Hammett a occulté l'œuvre de l'un des meilleurs connaisseurs de la pègre américaine : William Riley Burnett (1899-1982), auteur du Petit César (1929), récit de l'ascension et de la chute de César Bandello, caïd d'un gang italien de Chicago, puis de Quand la ville dort (1949), récit minutieux d'un hold-up et de ses conséquences. Il écrit scénarios et romans jusqu'à son dernier souffle et signe, à l'âge de quatre-vingt-deux ans, son trente-cinquième et ultime ouvrage, l'excellent Good-Bye Chicago (1981). Cette école littéraire, au style sec, dépouillé, brutal, est plus ou moins appréciée en raison du réalisme qui imprègne ses œuvres. Chandler le redit : « Les personnages, le cadre et l'atmosphère doivent être réalistes. Il doit s'agir de gens réels dans un monde réel... » Et il ajoute : « La solution du mystère doit échapper à un lecteur raisonnablement intelligent. » L'énigme passe donc au second plan.
Finalement le roman noir va s'imposer avec quelques romanciers incontournables : James Cain (Le facteur sonne toujours deux fois, 1934 ; Assurance sur la mort, 1936), Horace Mac Coy (Un linceul n'a pas de poches, 1937), Johathan Latimer (Quadrille à la morgue, 1936) ; Kenneth Millar débute sous son nom avant d’adopter le pseudonyme de Ross Macdonald et de créer une série (vingt romans et quelques nouvelles) consacrée au détective Lew Archer qui réside en Californie, à Santa Teresa. Celui-ci, incarné deux à fois au cinéma par le comédien Paul Newman, est, selon son créateur, « un héros démocrate » reflétant une image de l’Américain moyen, un personnage proche des films de Franck Capra. Il convient de noter aussi que Ross Macdonald est le premier à évoquer les crimes écologiques à propos de l’incendie d’une forêt ([...]
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Écrit par
- Claude MESPLÈDE : écrivain, historien de la littérature policière
- Jean TULARD : professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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