POLICIER ROMAN
L'évolution du genre aux États-Unis
La vague du récit hard-boiled domine encore durant les années 1950 avec une foule d'histoires de détective privé. Mais après guerre, face à la progression importante de la délinquance et de la criminalité, la police apparaît pour la majorité des citoyens comme la seule protection efficace dans la jungle urbaine. Cet état d'esprit favorise la naissance du police procedural (procédure policière), récit qui décrit de façon minutieuse et réaliste le travail quotidien d'une équipe d'enquêteurs professionnels. Parmi les spécialistes de ce genre, on trouve Lawrence Treat (V comme victime, 1947), Hillary Waugh (On recherche, 1952), William McGivern (Coup de torchon, 1953), et surtout Ed McBain (Du balai, 1956) qui publiera plus d'une cinquantaine de récits avec ses inspecteurs du 87, un commissariat new-yorkais. À partir de 1970, le détective privé refait surface. Comme dans les années 1920-1930, certains romanciers vont l'utiliser pour ausculter une société en proie au doute, traumatisée par le drame vietnamien et le gangstérisme politique. Parmi les plus convaincants : Bill Pronzini (The Nameless), Roger Simon (Moses Wine), Arthur Lyons (Jacob Asch), Michael Collins (Dan Fortune), Lawrence Block (Matt Scudder), Robert Parker (Spenser), Loren Estleman (Amos Walker), et surtout James Crumley (Milodragovitch). Les policiers dépeints par Joseph Wambaugh (Patrouilles de nuit) préfigurent ceux que James Ellroy mettra en scène quinze ans plus tard. Vers la même époque, Mary Higgins Clark renouvelle le suspense psychologique (La Nuit du renard), suivie de quelques femmes de talent : Judith Kelman, Patricia MacDonald, Darian North, Jeannine Kadow et l’ancien médecin Tess Gerritsen (L’Embaumeur).
Les années 1980-1990 sont marquées par l'émergence de romans d'une extrême violence. Thomas Harris (Le Silence des agneaux, 1988), John Sandford (La Proie de l'ombre, 1990), Patricia Cornwell (Une mort sans nom, 1995) s'illustrent notamment sur le thème du tueur en série, qui devient un personnage récurrent de la fiction policière. Mais la révélation reste James Ellroy qui, après quelques ouvrages atypiques, laisse éclater son originalité stylistique et compose des reconstitutions historiques au souffle puissant, comme sa tétralogie sur le Los Angeles des années 1950 (Le Dahlia noir, 1987) ou sa démythification des États-Unis des années 1958 à 1972 dans une trilogie historique où la politique est intimement liée au monde du crime. Le premier volume abonde en révélations surprenantes sur le clan Kennedy (American Tabloid, 1955), tandis que le second (American Death Trip, 2001), qui débute par l'assassinat du président, se poursuit au Vietnam où les boys s'enlisent dans une guerre inutile. Mais ce romancier d'exception ne doit pas cacher une foule de nouveaux venus qui se distinguent aussi par leur écriture et les thèmes qui les inspirent. Nick Tosches met en scène la lutte apocalyptique entre les triades asiatiques et la mafia (Trinités, 1994), Elmore Leonard use de l'humour pour explorer le crime en Floride (Punch Creole, 1992). Thomas Kelly rend compte sous l’ère Reagan de la collusion entre les mondes de l’entreprise, de la politique et du crime organisé (Le Ventre de New York, 1997). Carl Hiaasen dénonce la destruction des côtes par les promoteurs (Miami Park, 1991). Il invente le polar écologique, et Barry Gifford le « road novel » (Sailor et Lula, 1990), tandis que James Lee Burke traque le mal dans les bayous de Louisiane (Prisonniers du ciel, 1992) et Joseph Kanon n’en fini pas de conter les méfaits de la chasse aux sorcières (L’Ultime Trahison, 1998 ; L’Ami allemand, 2001).
Au cours des deux dernières décennies, d'autres romanciers à l'univers singulier, souvent empreint d'humour et de dérision, se sont révélés à un lectorat français toujours[...]
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Écrit par
- Claude MESPLÈDE : écrivain, historien de la littérature policière
- Jean TULARD : professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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Médias
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